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Divagation
1 novembre 2010

L’hypermodernité

Pour Gilles Lipovetsky nous serions passés à une nouvelle époque de l’histoire. Après la modernité et la postmodernité nous serions présentement entrés dans une nouvelle ère qui se nomme, par convention, hypermodernité. Afin de mieux y voir clair, il nous faut revenir un peu en arrière.

La modernité

Si l’on suit la périodisation anglo-saxonne, la modernité se divise en trois sous-périodes. La première, l’époque moderne antérieur commence en 1492, et se termine en 1792. La seconde, l’époque moderne 1, débute en 1792, et se termine en 1920 avec la signature du traité de Versailles. Enfin la dernière, l’époque moderne 2, débute en 1920 jusqu’à nos jours. Elle est aussi appelée l’époque contemporaine. Pour d’autres auteurs, la modernité s’achève quelque part à la fin des années 50 ou 60, pour donner lieu à la postmodernité.

La modernité se caractérise par un long processus de retrait des conditions socioéconomiques qui avaient court au Moyen Age. Une quasi découverte particulière et qui sera destinée à un grand avenir et qui jouera un rôle fondamental dans le bouleversement des structures de pensée est l’invention de l’imprimerie. Avec celle-ci l’individu apparaît comme un agent qui peut maintenant se soustraire de la tradition et de l’interprétation collective et commune des connaissances. C’est justement à partir de la traduction de la bible en allemand et à sa diffusion qu’apparait les mouvements de dissidence que furent le luthérianisme et le calvinisme. Désormais l’individu moderne pourra contester la parole sacrée et l’interpréter selon ses préoccupations et ses besoins. Naîtrons alors toute une panoplie de sectes qui tenteront de trouver un sens dans l’interprétation des Saintes Écritures. Mais surtout qui produiront et élaboreront un ascèse intramondaine qu’ils utiliseront pour gouverner leur existence comme sujet économique capitaliste. Ce qui nous amène à un nouvel agent : le bourgeois. Pour Sombart, cette personne est particulièrement important, car il est le représentant le plus typique de l’esprit de la modernité, "en tant que variété humaine, douée d'un certain ensemble de facultés morales et intellectuelles". Parler du bourgeois, c’est faire "l’histoire morale et intellectuelle de l'homme économique moderne".

Et ce qui caractérise en dernier lieu la modernité c’est l’émergence des États-nations comme "espaces géographiques définis et disposant de marchés unifiés de taille adéquate pour la modernisation économique".

Donc la modernité apporte un certain nombre de changements. Économique, avec le développement du capitalisme. Politique, avec la formation des États-nations et des empires coloniaux. Au sein de la religion, suite à la Réforme. Dans la pensée, avec l’humanisme qui succède lentement à la scolastique. Dans les sciences, avec la promotion de l’observation des faits et l’empirisme. Et dans les arts, suite à la Renaissance italienne.

Le progrès

Avant l’époque moderne le futur n’était pas un horizon envisageable. Dans les récits de l’antiquité, on situait l’age d’or dans un passé lointain. Et, bien sûr, le présent et le futur étaient condamnés comme déchéance face aux anciennes conditions de vie idéales. Il est admis que ce serait le christianisme qui aurait introduit la préoccupation d’un futur sous la forme d’un royaume des cieux. Ce que l’on nomme eschatologie, c’est l’ensemble des récits portant sur le sort ultime de l’homme et de son univers. La modernité s’inscrit ainsi dans la continuité de ces récits puisqu’elle invente l’idée du progrès infini. D’un progrès sécularisé qui offrira aux hommes de meilleures conditions grâce aux innovations techniques et aux progrès des sciences. Le futur devient le "lieu du bonheur et la fin des souffrances". L’organe, si on peut dire, qui présidera à l’instauration de ce monde meilleur serait la Raison, qui crée "les conditions de la paix, de l’équité et de la justice". Plus tard la Raison deviendra instrumentale et permettra de générer une maximisation de l’efficacité et du rendement accru. Mais avec les conflits sanglants du 20ième siècle, l’optimisme propre aux Lumières et au scientisme a perdu son caractère positif. Avec Foucault on en vint à considérer que les techniques modernes de discipline, qui consistaient à contrôler les hommes, à les normaliser et à les standardiser, si elles avaient réussi à les rendre plus productifs, avaient néanmoins dressé les individus et, par conséquent, asservit leurs facultés pour mieux les dépersonnaliser. Sous ce point de vu juste, mais périmé, nous étions tous dévoyés par la technique et le libéralisme marchand. Ici s’arrête ce constat d’une autre époque, puisque à quelque part à la fin des années soixante, nous sommes entrés dans une autre période : le postmodernisme.

La postmodernité

Plusieurs inventions peuvent être considérées comme étant les vecteurs de la postmodernité. Ce serait, en premier lieu, l’augmentation exponentiel du stockage de l’information par la découverte des semi-conducteurs. Secondement,ce serait par la modification des moyens de mettre en marché les produits de consommation standardisé. Après la guerre, l’économie fonctionnait très différemment du fonctionnement actuel. "C’était l’ère de la production de masse. Sur chaque grand marché de produits, quelques grands producteurs se partageaient les clients et pouvaient répercuter les hausses de salaire sur les prix. L’emploi était stable, les inégalités faibles, le système prévisible." Par la suite, "il y a eu mondialisation parce qu’il y a eu de nouvelles technologies - de l’information, mais aussi du transport avec les cargos et les conteneurs. Il y a eu déréglementation parce que de nouvelles industries ont poussé à l’ouverture pour se faire une place. Au fond, ce sont les nouvelles technologies qui sont à la racine du changement".

Vient par la suite la publicité. Bien qu’elle se généralise dans les années cinquante, c’est un peu plus tard que seront appliqués des moyens sophistiqués pour atteindre le consommateur par une publicité mieux adaptée aux classes d’individus et à leur cordes sensibles. À partir de ce moment, c’est vers un hédonisme bien affirmé et sans complexe que s’oriente les techniques de mise en marché. Pour Gilles Lipovetsky, c’est par "la logique de la séduction, du renouvellement permanent (…) qu’à émergé le monde postmoderne." C’est donc de la mode qu’il s’agit. Et on se demande qu’est ce qu’un phénomène aussi futile vient faire dans cet histoire très sérieuse qui parle de transformation de l’être humain. Outre le fait que la mode vient diriger notre attitude devant les produits de consommation, elle met en échec les anciennes tendances qui, elles, préconisaient la tradition. C’est vers une nouvelle phase du capitalisme que s’oriente la société puisque toute forme de produit devient obsolète lorsqu’une nouvelle ligne de produit apporte un nouvel attrait ou une nouvelle tendance. Si la modernité avait commencé à orienter l’individu vers le futur et déconsidérer progressivement le passé et ses traditions ce n’est seulement qu’à partir de la postmodernité que seront complètement reléguées aux oubliettes les anciennes grandes structures de sens. Désormais, et c’est justement la signification de l’individualisme, c’est par la réflexion personnelle que s’oriente les choix et les décisions importantes que doivent prendre les individus. Ce qui fait que de la morale nous sommes passés à l’éthique. Mais ce n’est pas sans heurt. Paradoxalement, il coexiste deux logiques à l’ère postmoderne. L’une, l’individualisme, l’autre "la désagrégation des structures de normalisation" produisent le contrôle de soi ou l’anomie individuelle, le "surinvestissement prométhéen ou le manque de volonté total." C’est deux logiques génèrent des habitudes de vie contradictoire comme la phobie de la minceur ou l’obsession de la santé tout comme l’opposé, soit l’obésité et des comportements alimentaires néfastes.

Ce qui veut dire que s’il y a des gains d’autonomie il y a aussi de nouvelles formes de dépendance. "L’hédonisme postmoderne est bicéphale, déstructurant et irresponsable pour certain nombre d’individus, prudent et responsable pour la majorité". Il semblerait qu’une libération des anciennes structures sociales vers plus d’autonomie individuelle et de recours à la raison soit assez bénéfique pour certains, mais qu’il y aurait d’autres candidats qui souffriraient de l’absence de contrôle et de la disparition des normes traditionnelles d’encadrement. c’est comme si la postmodernité avait amené un grand rêve de libération trop ambitieux ou peut-être trop rapidement.

L’hypermodernité

Il est normal que dans le passage d’une période à une autre qu’il y ait continuité sous certains rapports et coupure radicale sur d’autres rapports. On pourrait parler de reconfiguration, puisque certaines contraintes disparaissent pour laisser la place à de nouvelles formes ou structure sociale. Il en est de même pour les valeurs, certaines s’effacent, d’autres perdurent, comme les droits de l’homme ou l’égalité.

En ce qui à trait à la consommation la deuxième phase qui correspondait à la taylorisation postmoderne à fait place à une troisième période : l’hyperconsommation hypermoderne. Celle-ci fonctionne de moins en moins sur le modèle des affrontements symboliques ou de la consommation statuaire. On ne consomme plus pour se démarquer et établir notre rang social. "Chacun consomme pour se faire plaisir plutôt que pour rivaliser avec autrui". "L’époque contemporaine voit s’affirmer un luxe de type inédit, un luxe émotionnel, expérientiel, psychologisé, substituant la primauté des sensations intimes à celles de la théâtralité sociale". D’un Narcisse postmoderne, libertaire et jouisseur nous sommes passés à l’hypernarcissisme qui se veut responsable, organisé, performant et flexible. "La responsabilité a remplacé l’utopie festive et la gestion, la contestation : tout se passe comme si nous ne nous reconnaissions plus que dans l’éthique et la compétitivité, les régulations sages et la réussite professionnelle". Mais peut-on vraiment dire que Narcisse est véritablement gestionnaire si on considère que l’hyperconsommation a détruit le vieux réflexe de l’épargne. C’est plutôt à une généralisation de l’endettement que l’on assiste. Est-il aussi si performant ? On a qu’à penser au phénomène de dépression et de fatigue au travail. Est-il responsable ? Dans ce cas-ci évoquons cette espèce de schizophrénie dans laquelle certains gestes de consommation exige le prix le plus bas, qui enfreint les exigences environnementales et les droits du travail, alors que comme citoyens ils demandent que soient respectées les règles de l’échange juste.

Durant la période précédente (postmoderne) il existait encore des idéaux de conquête sociale globale. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, ce qui compte c’est la défense des intérêts corporatistes, tels les pensions de vieillesse et les salaires. On ne croit plus à l’amélioration des conditions générales. C’est tout le rapport au présent qui a changé avec la précarisation de l’emploi et la peur du chômage. Devant un avenir incertain, on ne peut être qu’inquiet. Le sujet hypermoderne est rongé par l’inquiétude et l’insécurité.

Pour certains "la crainte s’est imposée à la jouissance, l’angoisse à la libération". Pour d’autres, je crois et j’espère que c’est beaucoup mieux.

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