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Divagation
1 novembre 2010

L’esprit du capitalisme

La grande œuvre du fondateur de la sociologie allemande, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, pose certains problèmes pour notre compréhension actuelle. Certains chapitres sont restés comme intacts et lumineux dans leur démonstration, tandis que d’autres, surtout un en particulier, nous semble devenu incompréhensible à force de détails et d’éruditions. Je crois bien avoir, par ailleurs, trouver une solution à ce problème. Il suffit de lire en parallèle Le bourgeois de Werner Sombart. J’utiliserai donc ces deux sources pour entrer dans l’esprit du capitalisme.

J’aimerais commencer par une sorte d’anecdote. Bien avant le travail effectué dans les fabriques, on recrutait des familles de paysans pour qu’ils viennent chercher le matériel à utiliser pour confectionner divers articles à la maison, dans l’espoir que de rémunérer le travail à la pièce permettrait d’augmenter la productivité, la cadence. Ce fut à certains points un échec qui s’explique assez simplement. Comme les individus n’avaient que des besoins figés, fixes et non évolutifs, c’est-à-dire que leurs choix de consommation étaient fort limités, ils n’avaient aucun intérêt à travailler davantage. Si on augmentait le tarif à la pièce, rien n’y faisait non plus, les gens produisaient moins d’unité, car l’appât du gain et la volonté de s’éreinter au travail ou de se réaliser n’existait que très rarement, contrairement à ce qu’on croit aujourd’hui. (La recherche du gain pur et simple était étrangère à l'économie pré-capitaliste)

Ce qu’il faut comprendre c’est qu’il a fallu un changement radical d’attitude envers le travail, ce qu’on nomme une forme d’éthique, pour que les gens acceptent de passer davantage de temps et de mettre beaucoup plus d’effort à la tâche. Ce changement d’attitude demande une modification d’éthos, une nouvelle éthique, de nouvelles dispositions, bref ce qu’ont appelé Weber et Sombart, un nouvel esprit du capitalisme. Il y a bien eu finalement une époque pré-capitaliste et un esprit particulier de l’homme, disons du Moyen Age :

" Avant tout, on cherche, autant que possible, à se procurer des aises. Toutes les fois qu'on pouvait " fêter ", on le faisait. On ne mettait pas plus d'empressement à s'adonner au travail que l'enfant n'en met à fréquenter l'école : on travaillait lorsqu'on ne pouvait pas faire autrement, lorsqu'il était vraiment impossible de se soustraire à la besogne. On ne trouve pas trace de véritable amour pour le travail économique comme tel (avant une certaine époque) "

Il est important de comprendre et d’aller explorer le passé lointain de nos ancêtres afin de découvrit que l’époque que nous vivons est bien arbitraire, d’y voir que nous nous comportons d’une certaine manière qui n’est pas uniquement la seule valable. Il faut parfois sortir des conditions anthropologiques qui sont les nôtres, car elles peuvent être excessives, voir dangereuses. Elles peuvent nous mener dans une impasse. Pour cette raison j’aimerais parler un peu du capitalisme et de son histoire.

L’attitude anti-capitalisme de l’aristocratie

C’est un secret pour personne que la noblesse n’aimait pas trop se salir les mains ou se mettre trop longuement à la tâche. Comme elles n’avait pas à se soucier de sa simple subsistance, elle développa à peu près partout et à toutes les époques une certaine réticence envers le travail rémunéré. "Le seigneur méprise l'argent. Il est malpropre, comme sont malpropres toutes les activités à l'aide desquelles on le gagne." "Mener une existence seigneuriale, c'est vivre pleinement et largement et faire vivre beaucoup d'autres autour de soi; c'est passer ses jours à la guerre ou à la chasse et ses nuits dans le cercle joyeux de gais compagnons, en jouant aux dés, ou dans les bras de jolies femmes; c'est bâtir châteaux et églises, déployer une grande magnificence et beaucoup d'éclat dans les tournois et autres circonstances analogues, étaler un grand luxe, dans la mesure, souvent même au delà, des moyens dont on dispose." On est bien loin ici de la figure austère du bourgeois calculateur.

Il nous faut traiter rapidement de la consommation statuaire. À l’époque pré-capitaliste les besoins sont fixes et statués ou déterminés en fonction du rang social, du groupe dans lequel nous faisons partie. "Le besoin lui-même ne dépend pas de l'arbitraire de l'individu, il a acquis avec le temps, au sein des divers groupes sociaux, une certaine forme et une certaine étendue qui ont fini par être considérées comme fixes et immuables. C'est l'idée de l'entretien conforme à la position sociale, idée qui avait dominé toute l'économie pré-capitaliste." Autrement, il ne convient pas à un individu de basse extraction de sur-travailler pour posséder une distinction comme un vêtement de luxe, apanage des classes très favorisées. "L'entretien conforme à la position sociale constitue une des bases de l'édifice philosophique du thomisme: il faut que les rapports entre l'homme et le monde extérieur soient soumis à une limitation, subordonnés à un critère. Cette mesure n'est autre que l'entretien conforme à la position sociale." Les classes sociales étant très accentuées au Moyen Age, on comprend que ceci entrainait un véritable frein pour le développement de l’économie en général, car comme il ne serait y avoir d’ascension sociale dans ses conditions, le besoin de travailler se faisait ainsi peu sentir, puisqu’il s’agissait de posséder le strict nécessaire en conformité avec la position occupée dans la hiérarchie sociale. Pour que le capitalisme devienne généralisable il faut un esprit qui incite au labeur, à la thésaurisation et aussi un prestige et une incitation à la consommation.

Le bourgeois

Pour mieux saisir ce qu’est l’esprit du capitalisme, il faut jeter un coup d’œil sur l’apparition d’un personnage important et déterminant, au 14ième siècle, en Italie : le bourgeois. Il sera considéré, pour la suite de l’analyse, comme étant un type humain doué de qualités psychiques particulières, plutôt que comme étant "le représentant d'une classe sociale".

Comment faire pour tracer le portrait d’hommes d’un passé si lointain et combien révolu ? C’est évidemment en utilisant les sources écrites de l’époque. Nous possédons justement un ouvrage du grand humaniste Léon-Battista Alberti (1404-1472), del governo della famiglia, qui nous donne un aperçu des préoccupations des hommes du Quattrocento. "On doit à Alberti les célèbres livres sur le gouvernement de la famille, dans lesquels on trouve déjà tout ce que Defoe et Benjamin Franklin diront plus tard en anglais. Mais les livres de famille d'Alberti nous sont encore précieux pour cette autre raison que, d'après ce que nous savons, ils ont déjà été beaucoup admirés et lus par ses contemporains, qu'ils ont été, dès leur apparition, considérés comme un traité classique que d'autres pères de famille ont, dans leurs chroniques et mémoires, reproduit soit en totalité, soit en extrait." Nous sommes donc autorisés à penser que cette ouvrage et bien d’autres encore, qui constituaient des œuvres d’édification et d’instruction "reflètent une manière de voir générale, celle notamment du monde des affaires".

Que nous dit ce traité ? En premier lieu il discute de la rationalisation de la conduite économique. L’homme doit s’occuper de ses affaires, il peut en parler et même se vanter de ses bon coups. Ce qui est assez inusité chez les gens de fortune, si on se souvient que l’économie au Moyen Age, chez les couches aisées est une économie de dépense, où il importait assez peu que l’on dépense davantage que ce que nous apportait nos revenus. "Cette recommandation constituait à l'époque une nouveauté inouïe, du fait que c'étaient des grands, des riches qui commençaient à penser ainsi. Qu'un petit portefaix ne songe qu'à ses sous ou qu'un petit boutiquier passe sa vie à chercher à équilibrer ses recettes et ses dépenses, rien de plus naturel. Mais le riche, le grand! Que l'homme qui pouvait dépenser autant, sinon plus, que le seigneur de jadis, fasse des problèmes d'administration économique l'objet de ses réflexions et préoccupations, voilà ce qui était nouveau, d'une nouveauté inouïe!" D’où le précepte suivant : "que vos dépenses ne dépassent jamais vos revenus".

Ce qui nous amène à l’esprit d’épargne. Autrement dit dépenser moins que ce que l’on possède. Il s’agit de "l'épargne conçue comme une vertu. Le maître de maison économe devient l'idéal des hommes riches, en tant qu'ils sont devenus bourgeois ". Et on trouve cette jolie maxime : "un sou épargné me fait plus d'honneur que cent sous dépensés". Ainsi que celles-ci : "redoute, comme un ennemi mortel, toute dépense superflue" ; " autant la prodigalité est mauvaise chose, autant l'épargne est bonne, utile et digne d'éloges"; "l'épargne ne nuit à personne et est utile à la famille"; "nulle dépense ne doit dépasser la limite de ce qui est absolument nécessaire".

L’économie domestique porte ainsi sur trois choses qui nous appartiennent : notre âme, notre corps et surtout notre temps. Ce qui anticipe la fameuse phrase de Benjamin Franklin : "le temps, c’est de l’argent". Ce qui donne comme conseils : "je m'efforce toute la vie de faire des choses utiles et honorables" ; "je ne me sers de mon corps, de mon âme et de mon temps que d'une façon rationnelle. Je m'attache à en conserver le plus possible et à en perdre le moins possible" ; "il s'agit seulement de bien répartir votre temps. Celui qui sait ne pas perdre son temps, peut faire à peu près tout ce qu'il veut: et celui qui sait bien employer son temps, ne tarde pas à devenir maître de toutes les besognes qu'il doit accomplir".

Tout au long des siècles suivants nous verrons un assez grand nombre de traités du même genre chez différentes nations. Mais le point culminant du parfait petit bourgeois sera les écrits et l’attitude de Benjamin Franklin. "Le bon sens et la modération de cet Américain sont tout simplement stupéfiants. Chez lui tout devient une règle, tout est exactement pesé et mesuré, chacune de ses actions respire la sagesse économique".

Écoutons le : "Si tu aimes la vie, ne gaspille pas le temps, car le temps est la substance de la vie... Que de temps inutile nous dépensons à dormir, sans penser que le renard qui dort n'attrape pas de poules et qu'on aura encore l'occasion de dormir en toute éternité, une fois au tombeau...". "Mais si le temps est la plus précieuse des choses, le gaspillage de temps est le plus criminel des gaspillages... Le temps perdu ne se retrouve pas, et toutes les fois que nous disons que nous avons le temps, nous nous trompons : le temps dont nous disposons est toujours trop court"

"Toute la sagesse de Franklin se résume dans ces deux mots: application et tempérance (" industry and frugality "). Il n'y a pas d'autres voies qui conduisent à la richesse. " Ne gaspille ni temps ni argent; fais de l'un et de l'autre le meilleur emploi possible ". "

Finalement, comme le bourgeois est celui qui conclut des affaires avec son capital amassé, qu’elle doit être son attitude en toute chose ? Qu’est-ce qui l’aide à réussir dans sa vie de commerçant, de négociant ou d’industriel ?

"On doit vivre correctement : telle devient pour le bon commerçant la suprême règle de conduite. On doit s'abstenir de tout écart, ne se montrer que dans une société convenable; on ne doit être ni buveur, ni joueur, ni coureur de femmes; on ne doit manquer ni la sainte messe, ni le sermon du dimanche; bref, on doit se montrer, même dans son attitude extérieure, et cela pour des convenances commerciales, bon "bourgeois", car cette manière de vivre selon la morale est de nature à relever et à affermir le crédit de l'homme d'affaires."

L’esprit du capitalisme

Beaucoup de malentendus ont suivi la publication de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. La première des erreurs d’interprétation fut de croire que Weber faisait d’écouler la naissance du capitalisme moderne de la Réforme protestante. Il le dit clairement ainsi : "j’ai qualifié d’absurde la supposition selon laquelle on pourrait faire dériver le système économique capitaliste de motivations religieuses en général, ou de l’éthique de la profession-vocation propre à ce que j’ai appelé le protestantisme ascétique (puritanisme)." Par contre, il est plus juste de dire les choses de cette manière : "l’éthique de la profession-vocation propre à la Réforme a fait partie sans aucun doute des éléments qui ont favorisé le développement économique", qui se sont en quelque sorte trouvés à être des "forces motrices de ce développement". Il y a une raison à tout cela. Le capitalisme a existé à différentes époques de l’histoire. On retrouve un capitalisme antique comme un capitalisme féodale, selon Weber. Alors que pour Sombart il est préférable de caractériser les formes de capitalisme qui précédèrent la modernité de pré-capitalisme, et de dire qu’à ces époques il manquait l’esprit pour donner toute l’ampleur aux mécanismes de déploiement économique.

Bref résumé

Pour la religion catholique, à une certaine époque (environ 1200) fut instauré l’obligation de la confession. Par cet acte particulière le croyant avait la possibilité de demander le pardon pour ses péchés mineurs. Ce qui relâchait la tension que pouvait faire naître la peur d’être réprouvée et condamnée à l’enfer. Il suffisait dans la vie d’un homme de multiplier les bonnes actes de vertu pour parvenir à contre-balancer les actes impies répréhensibles et condamnés par la religion. Pour ce qui en est du protestantisme c’est une toute autre histoire. Car quand bien même le croyant aurait mené une vie presque parfaite selon les préceptes moraux, il n’est aucunement assuré de la rédemption. La damnation vient frapper toute personne sans raisons valables. Dieu décide de manière arbitraire de la prédestination du croyant. Ce qui à l’origine crée une angoisse certaine.

En d’autres mots : "nous ne pouvons pas savoir si nous sommes prédestinés, nous ne pouvons pas savoir si après notre mort nous serons sauvés ou damnés. Seul Dieu décide, selon son bon plaisir. (…) Notre sort ne dépend pas de nos œuvres. C’est-à-dire que ce n’est pas parce que nous accomplirons de bonnes œuvres, des œuvres de charité, que nous serons sauvés. Dieu décide de façon gratuite." Comment savoir, sous ces conditions, si "nous avons retenu l’attention de Dieu, si nous sommes sur la voie de la rédemption ?" La réponse est dans toute l’histoire des idées, une des plus stupides façons de régler un problème fondamental. C’est par notre réussite économique, notre enrichissement que dieu portera attention à nos oeuvres. Ou si on aime mieux : la preuve que dieu est avec nous et nous a choisi se manifeste par notre réussite monétaire et entreprenariale. Seulement, il y a autre chose qui se surajoute. C’est l’austérité et le contrôle de soi. Il ne faut pas à mesure de l’enrichissement dépenser inconsidérément. Au contraire, on doit vivre avec le stricte nécessaire et ainsi thésauriser. Économiser pour pouvoir se bâtir un capital qui pourra être réinvesti dans une nouvelle entreprise ou pour faire augmenter les affaires au sein d’une entreprise déjà existante. Donc, c’est par notre vocation, profession, métier, avec loyauté et probité, ardeur et austérité, en produisant un travail de qualité qu’on en vient probablement à être sur la voie de la rédemption. C’est en quelque sorte l’attitude par excellence qui donna un nouveau tremplin au développement du capitalisme moderne.

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