L’innocence et la méchanceté

La méchanceté, qui ne s’apparente pas tout à fait à la haine épisodique, est viscérale et constitutive. Elle s’immisce au sein d’un être qui a dégénéré dans la douleur d’un égoïsme négatif et plein d’amertume. Elle se nourrit d’envie et de ressentiment envers l’existence d’autrui comme existence épanouie. Et si on veut s’en débarrasser, il faut, pour détruire l’envie, s’ouvrir à l’autre par la sympathie, par le respect et par l’amour.

«La sympathie dans la joie témoigne d’une plus grande noblesse d’âme, puisqu’elle est souvent obligée, pour se manifester, de lutter contre l’obstacle qu’elle trouve dans l’envie. » Scheller

On peut considérer que l’envie s’adresse à la personne alors que la jalousie implique les possessions et l’avoir de l’individu. L’envie vise le fait que la personne est essentiellement elle-même. « Le jaloux, lui, en veut à celui qu’il considère comme son ennemi simplement parce qu’il est riche, beau ou fort. » La haine apparaît, dans ces conditions, lorsque je suis envieux de l’âme de mon prochain, de sa force de caractère et de ses qualités.

Comme l’on déteste certaines situations, qu’haïssons nous au juste chez autrui, sinon le fait que nous sommes malheureux alors que l’autre, lui, est parfaitement heureux. Et ne dit-on pas que le bonheur des autres nous est insupportable. Surtout lorsque notre condition nous pèse et qu’on ne parvient pas à se haïr soi-même dans notre médiocre situation d’infériorité. Infériorisation du fait du manque d’amour et d’ouverture devant la beauté de l’existence, devant les splendeurs de la vie.

La méchanceté comparée à la haine est beaucoup plus horrible et négative. Celui qui fait preuve de méchanceté hait pour aucune raison précise. « Mais la méchanceté! Quelles satisfactions surnaturelles assouviraient jamais cette passion boulimique que personne n’a frustrée ? » À l’inverse de l’amour qui veut l’existence de l’autre et apprécie l’autre comme existant, la haine profonde de la méchanceté veut l’inexistence d’autrui. « Les haineux veulent leur propre néant dans l’acte même par lequel ils veulent l’inexistence du proche et de ce qui leur est en commun avec ce proche. »

Hormis l’amour, peu de chose peuvent guérir de la haine, si ce n’est que l’on en puisse guérir. « Il n’est pas exact d’affirmer que l’amour aide à découvrir des valeurs; ce qui est vrai, c’est que, grâce à l’amour, tout acquiert une valeur plus grande. » (Jaspers) L’autre y acquiert ainsi une valeur inestimable.

Et c’est justement l’amour qui permet d’amoindrir l’ «égoïté» de l’égoïsme. Si le moi fait référence à la parti raisonnée de la personnalité, l’ego, lui, participe des instincts de conservation, et de la simple adhérence à soi-même. En ce sens l’égoïsme est naturel et sein jusqu’à un certain point. Mais il demande et invite à être dépassé.

Tous nos problèmes et notre attitude malsaine devant l’existence, ce qui nous rend de fait malheureux, parce que générateurs d’insatisfaction, peuvent être transcendés et sublimés à condition d’accepter notre sort comme étant un état passager qui demande juste à redevenir sain et à être ré-immergé dans la luminosité de l’amour.