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Divagation
23 février 2011

Le luxe

Il peut sembler banal et sans incidence de traiter un thème comme « la fonction du luxe dans la société contemporaine ».

Sauf qu’il se trouve parfois du sens là où on s’en attendait le moins. Certains faits sociaux, qui deviennent des habitudes, sont souvent les plus difficiles à interpréter parce qu’ils sont recouverts d’un voile d’incompréhensibilité.

Ce qui nous fait réaliser qu’il faut être attentif aux comportements qui semblent habituellement anodins, car leur déchiffrage peut apporter un éclairage imprévu.

Le luxe appartient à ces phénomènes qui peuvent être considéré comme étant de puissant révélateur anthropologique.

Le luxe, à l’origine

Si on se fie aux recherches ethnologiques, le don et le contre-don faisaient partie, à l’origine, des mécanismes qui préconisaient la création et l’entretien des logiques d’alliance et de réciprocité. Ils permettaient surtout d’affirmer la primauté du sociale sur l’individuel et de tisser des liens qui empêchaient que l’appropriation personnelle vienne isoler les individus et fasse naître une sphère privée égoïste où la dissension régnait.

Une des raisons qui expliquerait cette ruse des structurants sociaux serait l’obligation d’une entière collaboration et d’une entraide déterminante pour assurer la survie et la pérennité des collectivités. La maladie, le désordre, la guerre, la famine étant toujours possibles, la seule logique effective était la collaboration et l’absence de comportement égoïste.

Mais les alliances se tissaient aussi avec les Dieux. Le don y acquérait une fonction religieuse, magique, spirituelle et cosmologique. Les rituels servaient à maintenir et reconduire l’ordre du monde. Se montrer généreux avec les puissances supérieures c’était espérer la réciprocité de leur part.

Il faut donc considérer le luxe comme n’étant pas l’apanage uniquement des sociétés néolithiques qui réussissaient à amasser des réserves et créer des objets signifiants de valeur. Dès que l’homme prit conscience de son existence, on retrouve des objets sépulturaires auxquels il attachait une importance spirituelle et éternelle. L’attachement au luxe résulte et résultera toujours de besoins profonds et essentiels, et il entraîne une démarcation entre l’humain et l’animal, entre l’immanence et la transcendance médiatrice.

« C’est le don dans l’échange cérémoniel, l’esprit de munificence et non l’accumulation de biens de grande valeur qui caractérise la forme primitive du luxe. »

Il faut concevoir les sociétés « primitives » comme ayant une structure d’organisation globale et unitaire, au sein desquelles une multitude de phénomène sont profondément imbriqués et interdépendants. La sexualité, les alliances, le don, les échanges, la représentation du monde, etc., se comprennent grâce à un réseau symbolique d’affinité. Pour parvenir à saisir la complexité des petites sociétés anciennes il faut étudier l’ensemble des manifestations pour découvrir la cohérence de la logique de leur organisation.

Le luxe au sein des grands ensembles

Le faste et la munificence dans l’antiquité demeurent une manifestation qui s’adresse à la collectivité. Les individus qui tiennent à se distinguer à outrance sont perçus comme étant des personnes qui font preuve d’orgueil et de distinction, et qui remettent en question l’harmonie entre les classes sociales. 

« Élever un temple est noble; se faire construire un palais somptueux pour soi éveille l’hostilité en tant qu’attitude mue par l’orgueil, le dédain, la volonté de se montrer supérieur aux autres citoyens. Mais il est aussi un luxe privé qui suscite la réprobation, c’est celui des femmes qui se préoccupent de leur toilette, qui se parent de bijoux et se fardent. Le luxe féminin des artifices pour se faire belle est partout objet de dénigrement, condamné en tant qu’art de tromperie et de dissimulation.»

Ensuite

Le luxe comme manifestation personnelle du gaspillage ostentatoire d’une certaine richesse n’a jamais été bien vu jusqu’à ce que la création de richesse permette que sa dilapidation ne soit plus si problématique. Une nouvelle ère est alors apparue. Celle de l’accumulation du capital et de sa capacité à se reproduire avec un profit quasi-infini. On vit donc apparaître le bourgeois et la bourgeoise, qui pouvaient bénéficier du même mode de vie que leurs prédécesseurs : l’homme et la femme aristocrates. Mais avec de nouvelles valeurs. Le luxe et la mode féminine purent s’épanouir.

« Vitrine de l’homme, la femme, par le truchement du vêtir, se voit chargée d’afficher la puissance pécuniaire et le statut social de l’homme. La femme (devint) la devanture de la fortune du père, du mari ou de l’amant.

Si la femme parvint à devenir le principal objet de la mode, elle n’en demeura pas moins assujetti au règle masculine.

« Dans la féminisation du luxe, il y a plus qu’une stratégie distinctive des classes fortunées : il s’agit aussi d’un instrument de reproduction de la femme mineure, de la dépendance féminine vis-à-vis de l’homme, d’un moyen destiné à magnifier dans l’éclat des signes la femme comme décoration et agrément de la vie, être pour-le-regard de l’homme. »

Veblen

Pour Thorstein Veblen l’instinct prédateur pousse certains individus à s’approprier le fruit du travail de ceux qui manifeste plutôt l’instinct artisan. Les premiers, la classe du loisir, profitent de la richesse créée par les travailleurs en consommant fastueusement afin de se démarquer socialement.

L’oisiveté de ceux qui se démarquent par le fait qu’ils ne travaillent pas n’est pas péjorative, car cela n’affecte aucunement leur niveau de consommation qui est particulièrement élevé.

« On le voit, le travail est devenu un puissant facteur d'intégration sociale pour la grande majorité d'entre nous, parce qu'il ouvre la porte de la consommation et que c'est elle qui est le principal révélateur de notre position sociale dans une économie dominée par les échanges marchands. »

On retrouve chez les anciennes peuplades des types semblables de prédateurs qui jouissaient du fruit du labeur des autres, comme le font les bourgeois : les guerriers, les chefs, les sorciers.

Dans cette perspective le luxe devient la manifestation la plus visible qu’emploie une catégorie sociale afin de se distinguer et de se percevoir comme étant supérieur à ceux qui doivent travailler pour assumer leur subsistance.

Mais il faut noter que même les classes inférieures de revenu attachent, eux aussi, de l’importance au luxe.

Le luxe redevenu une fonction anthropologique

La désacralisation des sociétés n’a pas automatiquement fait disparaître le besoin d’une dimension sacrale. La destruction des traditions, qui fit place à l’incessante nouveauté, au besoin de changement et à l’obsolescence, n’élimine pas complètement toute forme de rituel et de mécanisme créateur de signification.

Le luxe et les rituels qui l’accompagnent redonne à la vie une dimension sacrée et nous replongent dans une temporalité qui permet que se redéploie et se manifeste le besoin de durée, de continuité, et que redeviennent important des gestes qui font sens.

« Le luxe éternel » Gilles Lipovetsky

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