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Divagation
2 janvier 2011

Frankfurt

Harry G. Frankfurt est l’auteur de 2 petits ouvrages assez intéressants. Le premier, On bullshit ou De l’art de dire des conneries, traite du baratin, de la connerie. Le deuxième, qui se veut être une suite, porte le titre de De la vérité. Il se trouve à constituer un complément au premier. L’auteur mentionne que s’il avait fait une distinction entre le baratineur et le menteur, il n’avait toutefois pas assez traité de la vérité. Il avait, par contre, établi que le menteur, qui dissimule la vérité, à quand même conscience qu’elle existe. Alors que pour le baratineur, qui s’en soucis guère, il s’agit «plutôt (de) séduire par l'accumulation de mots (verbiage)». Pour lui, c’est l’effet qu’il produit qui importe. Du côté de la connerie, le but est de dire des choses à la légère, que l’on ne dirait pas dans d’autres situations, autrement.

Par ailleurs, à la toute fin de l’ouvrage il se demande s’il y a plus de conneries aujourd’hui. Si elle est surtout contemporaine. En un sens, il répond que, oui, il y a plus de baratin en ce moment. Une des premières raisons serait qu’il nous faille avoir des opinions sur tout. Artistes, chroniqueurs d’humeur, étoiles de la musique, etc., tous se doivent de parler sur tout et sur rien. Ce qui devient le fameux bavardage futile incessant. «La production de bullshit, affirme Frankfurt, est donc stimulée «quand les occasions de s'exprimer sur une question donnée l'emportent sur la connaissance de cette question»». Le baratin n'est donc pas originellement un discours sur l'intimité, mais il finit par le devenir «C'est un discours qui n'a de fin que lui-même. Cependant, c'est dans l'étalage de la vie privée sous couvert de sincérité qu'il est le plus manifeste aujourd'hui». C’est comme si on avait l’impression que le Moi, si on lui laissait la chance de discourir sur son intériorité, rencontrerait de grandes vérités. L’injonction à la sincérité-authenticité produit, de fait, de la bullshit.

Et cette merde, on la rencontre dans les revues, les magasines, les journaux et dans les nouvelles émissions réalité. «Le baratineur est par conséquent celui qui reprend à son compte l'idéal de communication de la société médiatique (…)» Bref, nous en sommes constamment entourés.

Nous disions donc que le baratineur se fou de la vérité. En fait, il ne lui accorde pas d’importance parce qu’il ne croit pas qu’il y ait des vérités objectives. Il croit plutôt en sa vérité personnelle. Et cette vérité en est une d’intériorité qui est produite par sa sincérité. Mais tout cela repose sur une croyance. C’est-à-dire que l’on croit que le moi repose sur un substrat qui perdure et conserve son unité, malgré nos variations de nos états de conscience. Frankfurt mentionne ceci : «il est absurde d’imaginer que nous soyons nous-mêmes des êtres définis, et donc susceptibles d’inspirer des descriptions correctes ou incorrectes, si nous nous sommes d’abord montrés incapables de donner une définition précise de tout le reste. En tant qu’êtres conscients, nous n’existons que par rapport aux autres choses, et nous ne pouvons pas nous connaître sans les connaître aussi. En outre, aucune théorie ni aucune expérience ne soutient ce jugement extravagant selon lequel la vérité la plus facile à connaître pour un individu serait la sienne. Les faits qui nous concernent personnellement ne frappent ni par leur solidité ni par leur résistance aux assauts du scepticisme. Chacun sait que notre nature insaisissable, pour ne pas dire chimérique, est beaucoup moins stable que celle des autres choses.»

Par conséquent, la sincérité-authenticité, qu’encourage l’idéal de communication médiatique, c’est de la bullshit, et une forme d’égarement labyrinthique dans les méandres du moi.

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