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Divagation
6 novembre 2010

Sur la télévision

La télévision occupe une place importante, au point d’être devenue le loisir par excellence. Comme certaines écoutent jusqu’à huit heures de télévision par jour, -et on se demande où prennent-t-ils le temps pour s’immobiliser aussi longtemps devant le petit écran-, il faut avouer que ce sédentarisme passif est plutôt inquiétant. Ce qui inquiète encore plus c’est le type d’émission qu’écoute la moyenne des téléspectateurs: émissions de variétés, journaux télévisés à sensation et spectaculaires, film plébécisé par le "box office", canaux à téléroman, sport, et bien d’autres divertissements qui sont loin de fournir les outils essentiels aux citoyens, afin qu’ils comprennent le monde dans sa complexité et qu’ils puissent bénéficier d’une culture autre que la culture de masse.

Si dans un premier temps la télévision, étant en grande majorité financée par les gouvernements, avait un but assez noble, soit de montrer aux gens ce qui est digne d’intérêt, de leur faire assister aux différents domaines de la création, tout en étant ludique, ce n’est malheureusement plus le cas, aujourd’hui. La recherche des cotes d’écoute, pour pouvoir financer les dépenses qu’occasionnent l’exploitation du média télévisuel, grâce aux contrats de publicité, pousse les diffuseurs à fournir du temps d’antenne qui sera à même de captiver, d’intriguer, de divertir une masse de gens qui demande que leurs champs d’intérêt soient représenter à l’écran. Il est évident que ce champ d’intérêt est assez pauvre finalement. Que veulent les gens au juste ? De l’inédit, du nouveau, du spectaculaire, de "l’human interest" (pour pouvoir entretenir la fibre morale et la sympathie occasionnelle et virtuelle). Et les médias, en général, ont bien compris ce qui passionnent la majorité des auditoires légèrement incultes. Ils fournissent donc ce que les gens attendent. Il n’est plus question de former les populations ou de leur faire voir ce qui devrait et pourrait les intéresser. Il suffit de les divertir et d’occuper leur temps de loisir qui devrait normalement être constitué de la lecture de journaux ou de livre important, riche en information ou en formation.

Nous sommes en présence d’un cercle autogénérateur qui ne fonctionne pas. Car il faut éduquer et former les individus pour qu’ils soient à même de découvrir ce qu’ils aiment et ce qui est digne d’intérêt. Sinon chaque personne sera reléguée dans le degré zéro de l’humanité : le sommeil, la nourriture, le travail, les loisirs de divertissement futile ou de consommation.

Il faut faire découvrir aux populations légèrement ignares l’obligation de travailler à autre chose que leur travail, leur revenu, leur niveau de vie ou leur consommation.

Il vaut la peine de travailler et de s’investir dans la formation, dans la découverte, dans la création ou dans quoi que ce soit qui permet que le cerveau fonctionne, un peu. Juste un peu, c’est déjà beaucoup.

L’infospectacle


"Si le téléspectateur est de plus en plus attentif au traitement d’informations particulières par les journaux télévisés, il s’interroge rarement sur la structure même de cette émission. Or, pour Pierre Mellet, la forme est ici le fond : conçu comme un rite, le déroulement du journal télévisé est une pédagogie en soi, une propagande à part entière qui nous enseigne la soumission au monde que l’on nous montre et que l’on nous apprend, mais que l’on souhaite nous empêcher de comprendre et de penser."

Cette assertion semble grandement exagérée, mais elle mérite d’être analysée.

Qui au juste souhaite nous empêcher de comprendre et de penser ? C’est une question embarrassante. Parce que, en fait ce ne sont pas des personnes qui manipuleraient la forme de l’information, mais ce serait plutôt la logique structurelle et organisationnelle du médium télévisuel qui tenderait à occulter certaines choses. Une des caractéristiques propres aux téléjournaux c’est la fragmentation des nouvelles et son caractère évident qui en découle, le manque d’analyse. Ce que l’on nous montre n’est qu’un fragment, qu’une parcelle d’un phénomène plus global qui ne sera jamais explicité et démontré. Pour cette raison précise, il est donc bien vrai que l’on nous cache ce qui se passe réellement et qu’on se voit empêcher de penser le monde dans sa complexité.

"Il n’y a rien à comprendre, le "journalisme" ne s’applique désormais plus à nous apprendre le monde. Le présentateur ne donne pas de clé, il ne déchiffre rien, il dit ce qui est. Ce n’est pas une "vision " de l’actualité qui nous est présentée, mais bien l’Actualité." Dans cet ordre d’idées, on mentionne que le journalisme, à la télévision, montre des "news" et pratiquement jamais de "views". Les "views" étant des points de vue ou des analyses. Étant donné le manque de hiérarchisation entre les différentes nouvelles et la disparition de l’ordre des priorités, on voit maintenant apparaître, en ouverture des téléjournaux, des faits divers ou des résultats sportifs, bref ce qui est de l’anecdote alors que celle-ci devrait toujours être reléguée en fin d’émission, afin de conserver la priorité pour les questions sensibles et importantes pour les citoyens. "Les sujets ne semblent choisis que pour leur insignifiance quasi générale, ou leur semblant d’insignifiance. Tout y est mélangé, l’amour et la haine, les rires et les pleurs, l’empathie se mêle au pathos, les images spectaculaires ou risibles aux drames pathétiques, et l’omniprésence de la fatalité nous rappelle toujours la prédominance de la mort sur la vie." Il va de soi que c’est davantage aux spectateurs à sensation que l’on s’adresse de plus en plus.

Analyse du champ télévisuel

Si on en croit le philosophe Berkeley, être c’est être perçu ou vu. Et c’est ce que l’on doit avoir à l’esprit si on veut se faire une idée du rôle et de l’importance que joue, aujourd’hui, la télévision. Nous pourrions, sans trop exagérer, prétendre que le médium télévisuel est devenu "l’arbitre de l’accès à l’existence sociale et politique". C’est si vrai que la consécration pour un journaliste de la presse radiophonique ou écrite est devenue le fait de pouvoir être cité ou invité à la télévision.

Pour pouvoir saisir l’ampleur du phénomène, il faut introduire la théorie des champs.

La télévision est un vaste champ qui se divise en plusieurs branches : l’information, les variétés, les téléséries, les émissions de services publiques, etc. Au sein de ces secteurs, on rencontre des artisans qui occupent une place précise en raison de leur travail, de leur talent ou de leur popularité. Évidemment, rien n’est à tout jamais fixe. Il y a les valeurs montantes, les valeurs stables ou en déclin.

Ce qu’il faut comprendre avec la télévision c’est que c’est au final un champ englobant qui recouvre une multitude de sous-champs. Par exemple, lors d’une émission culturelle, on peut voir se côtoyer des romanciers, des réalisateurs, des essayistes, des intellectuels ou des musiciens. Il va de soi que ce type d’émission va nous donner un aperçu des créateurs qui dominent leur champ respectif. On nous montrera donc la plupart du temps ceux qui ont déjà relativement bien réussi par la vente de leurs produits culturels. Pour les autres, c’est dommage, mais l’obligation des cotes d’écoute ne permet aucunement qu’ils soient présentés à la télévision, du moins pas au sein des émissions qui sont le plus écoutées. Ainsi, la pression de l’audimat va grandement décider de qui est un romancier, et pour quelle raison.

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, il faut introduire la distinction entre l’hétéronomie et l’autonomie. Un acteur est dit autonome lorsqu’il a bien réussi dans son champ et qu’il est apprécié par ses pairs. Plus la réussite de notoriété est grande plus l’auteur pourra continuer à créer sans avoir l’obligation de la consécration extérieure qui se concrétise par le fait de faire partie de la liste des meilleurs vendeurs. Autrement dit, l’hétéronomie, le fait de devoir obtenir la reconnaissance prioritairement à l’extérieur du champ des collègues, le fait d’être en quelque sorte une forme de raté ou un supposé créateur, auteur de seconde importance, poussera l’individu à écrire selon les goûts et le niveau culturel du grand public. Bien entendu l’hétéronomie s’applique à tous les champs. Ainsi, un essayiste ou un sociologue patenté peut très bien faire un succès de librairie, mais être peu considéré par ses pairs, en raison de son manque de professionnalisme, par le fait qu’il ne possède pas la méthodologie adéquatement ou qu’il manque de précision dans l’élaboration de ses concepts.

La télévision vient donc jouer un grand rôle dans l’octroi de la renommée instantanée et fabriquée, dans le fait d’indiquer ce qui vaut la peine d’être lu, vu ou entendu. Dans ce sens les représentants de l’autonomie, ceux qui ont su bâtir une œuvre lente et complexe ne pourront pas vraiment se voir inviter à parler de leur création, de leur travail en cinq minutes, tout en divertissant le spectateur. La télévision permet ainsi d’abaisser le droit d’entrée dans une profession. Et n’importe qui ou presque peut prétendre être un écrivain ou un artiste, avec un minimum de talent, qui est souvent infime. Il suffit trop souvent que de posséder et profiter d’une bonne campagne de marketing et de visibilité.

Parmi les influences qu’exerce la télévision sur les autres champs, il y a celui du téléjournal. La forme qu’a prise, avec les années, le traitement des nouvelles, c’est-à-dire l’ordre d’apparition des sujets, qui sont souvent constitués de faits divers spectaculaires, influe sur la presse écrite et radiophonique dite sérieuse. Même les meilleurs journaux doivent maintenant appliquer les formules télévisuelles à leurs enquêtes ou au traitement de l’ordre des sujets.

"Le champ journalistique agit, en tant que champ, sur les autres champs. Autrement dit, un champ lui-même de plus en plus dominé par la logique commerciale impose de plus en plus ses contraintes aux autres univers. À travers la pression de l’audimat, le poids de l’économie s’exerce sur la télévision, et, à travers le poids de la télévision sur le journalisme, il s’exerce sur les autres journaux, même sur les plus "purs", et sur les journalistes, qui, peu à peu, se laisse imposer des problèmes de télévision".

Le téléjournal

On retrouve divers procédés de rhétorique au sein des journaux télévisés du soir. Comme c’est le moment de faire le point sur la journée, évidemment pleine de fatalité, riche en événements extraordinaires et marquants, on y retrouve une forte charge de dramatisation.

Celle-ci s’exprime par :

"-L’accusation. Elle est constante, et généralement dite par les témoins. Ce qui permet de faire croire au journaliste qu’il a donné à voir un avis, et qu’il a donc rendu un regard objectif de la situation. Un incendie ravage une maison, et ce sont les pompiers qui auraient dû arriver plus tôt. Un violeur est sorti de prison parce qu’il avait droit à une remise de peine, et c’est la justice qui dysfonctionne. Un gouvernement refuse de se plier aux injonctions occidentales, et c’est une dictature, un pays sous-développé où la stupidité se mêle à la barbarie, où la censure bâillonne tous les opposants, qui sont eux nécessairement d’accord avec le point de vue des occidentaux mais ne peuvent pas le dire. Il s’agit toujours de trouver quelqu’un à vouer aux gémonies pour rappeler ce qui est " bien " et ce qui est "mal", et où l’on retrouve toute la sémantique chrétienne du "pardon", de la "déchéance", etc.

- L’hagiographie. Comme à la messe, le journal télévisé a ses saints à mettre en avant. C’est le portrait de quelqu’un qui a "réussi", soit qu’il vienne de mourir, soit qu’il ait "tout gagné", soit qu’il se soit "fait tout seul", etc. C’est le prisme de l’exception qui édicte le modèle à suivre en suscitant admiration et respect. "Voilà ce que vous n’êtes pas, que vous devriez être, mais ne pourrez jamais devenir, et que vous devez donc adorer", nous répète le journal télévisé en permanence.

-L’anecdote. Elle se trouve au début de chaque sujet. Tout part du fait particulier, du fait divers du jour, et s’étend vers le problème plus vaste qu’il semble contenir en lui-même, ou que les journalistes font mine de croire qu’il contient. Tout part du fait particulier pour se prolonger, comme si ce dernier détenait en lui toutes les causes et toutes les conséquences qui ont fondé la situation plus générale qu’il est censé démontrer.

- La fatalité, elle, berce l’ensemble du journal télévisé. Les événements arrivent par un malheurs contingent, un hasard distrait qui touche malencontreusement toujours les mêmes (personnes, pays…). C’est une lamentation constante : " si les pompiers étaient arrivés plus tôt ", " si le violeurs n’était pas sorti de prison ", " si l’Afrique n’était pas un continent pauvre et corrompu ", etc. Elle est la base de toute religion puisqu’elle permet de ne rien avoir jamais à justifier, et rappel le devoir de soumission face à la transcendance, puisque nous sommes toujours "dépassés". La fatalité revient sonner en permanence comme une condamnation, et ajoute avec dépit (mais pas toujours) : "c’est comme ça". Le système se régule tout seul et est "le meilleur des systèmes possibles", l’homme est un être "mauvais" et passe son temps à "chuter" et à "rechuter" malgré toutes les tentatives de lui "pardonner". Le pauvre est responsable de sa situation parce qu’il est trop fainéant pour chercher des solutions et les mettre en application alors même qu’on les lui donne, etc. C’est un soupir constant, un appel permanent à l’impuissance et à la soumission face à la souffrance. Le monde va et nous n’y pouvons rien…"

Les idées reçues

Le credo libéral de la concurrence qui encourage la diversité, s’il se vérifie parfois dans certains domaines, est bien loin de s’appliquer dans l’univers médiatique. Le fait d’être soumis au mêmes contraintes de rentabilité, aux mêmes annonceurs tend à uniformiser et à homogénéiser le contenu de diffusion. Tout comme "nous disons beaucoup moins de choses originales que nous le croyons" les entreprises et les organes de presse tendent à utiliser abondamment les clichés et les idées reçues. Mais ce n’est rien en comparaison avec les procédés qui sont utilisés à la télévision. Pour retenir et ne pas perdre l’attention de téléspectateur, qui est volatile et peu concentré, la rigueur dans les démonstrations et l’argumentation n’est pas possible pour un média qui s’adresse à un sujet qui recherche la détente et le divertissement. En ce qui concerne l’information, comme elle se produit dans l’immédiat et dans l’urgence, la conception platonicienne se vérifie. Sur l’agora, sur la place publique il est presque impossible de penser, de réfléchir, car la réflexion exige du temps pour s’élaborer. Les idées reçues seront donc d’un grand secours pour débattre. Elle encourage la crispation des diverses positions, de manière statique et contre-productive.

"Quand vous émettez une idée reçue, c’est comme si c’était fait ; le problème est résolu. La communication est instantanée, parce que, en un sens, elle n’est pas. Ou elle n’est qu’apparente. L’échange de lieux communs est une communication sans autre contenu que le fait même de la communication. Les lieux communs, qui jouent un rôle énorme dans la conversation quotidienne, ont cette vertu que tout le monde peut les recevoir et les recevoir instantanément : par leur banalité, ils sont communs à l’émetteur et au récepteur. À l’opposé, la pensée est, par définition subversive ; elle doit commencer par démonter les idées reçues et elle doit ensuite démontrer."
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Pierre Bourdieu – Sur la télévision (extraits)

"Les faits divers ont pour effet de faire le vide politique, de dépolitiser et de réduire la vie du monde à l’anecdote et au ragot (…) en retenant l’attention sur des événements sans conséquences politiques, que l’on dramatise pour en tirer les leçons ou pour les transformer en problèmes de société."

"(…)c’est une certaine vision de l’information, jusque là reléguée dans les journaux dits à sensation, voués aux sports et aux faits divers, qui tend à s’imposer à l’ensemble du champ journalistique."

" (…)le journal télévisé, qui convient à tout le monde, qui confirme des choses déjà connues, et surtout qui laisse intactes les structures mentales."

" (…)l’illusion du "jamais vu" (il y a des sociologues qui adorent ça, ça fait très chic, surtout à la télévision, d’annoncer des phénomènes inouïs, des révolutions) et celle du "toujours ainsi" (qui est plutôt le fait des sociologues conservateurs : "rien de nouveau sous le soleil, il y aura toujours des dominants et des dominés, des riches et des pauvres… ")."

"C’est une des raisons qui font que les journalistes sont parfois dangereux : n’étant pas toujours très cultivés, ils s’étonnent de choses pas très étonnantes et ne s’étonnent pas de choses renversantes…L’histoire est indispensable pour nous, sociologue."

"(…)la télévision fait courir un danger très grand aux différentes sphères de la production culturelle, art, littérature science, philosophie, droit (…) ; elle fait courir un danger non moins grand à la vie politique et à la démocratie."

"Dans les années 50, la télévision était à peine présente dans le champ journalistique ; lorsqu’on parlait de journalisme, on pensait à peine à la télévision. Les gens de télévision étaient doublement dominés : du fait notamment qu’on les suspectait d’être dépendants à l’égard des pouvoirs politiques, ils étaient dominés du point de vue culturel, symbolique, du point de vue du prestige, et ils étaient aussi dominés économiquement dans la mesure où ils étaient dépendants des subventions de l’État et donc beaucoup moins efficients, puissants."

" (…) la temporalité même de la pratique journalistique qui, en obligeant à vivre et à penser au jour le jour et à valoriser une information en fonction de son actualité, favorise une sorte d’amnésie permanente."

"La télévision régie par l’audimat contribue à faire peser sur le consommateur supposé libre et éclairé les contraintes du marché, qui n’ont rien de l’expression d’une opinion collective éclairée. rationnelle, d’une raison publique."

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