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Divagation
15 juin 2011

Descartes

Le Discours de la méthode commence ainsi : «Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vrai-semblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s'en éloignent.»

Que peut-on conclure de cette brillante introduction? On pourrait dire que Descartes, tout comme dans ses méditations, est soucieux de ne pas heurter ceux qui décident du vrai et du faux (les théologiens) et les pouvoirs en place. Il ne peut pas commencer son ouvrage en disant que lui sait bien utiliser son jugement et sa raison, et que cela est fort rare dans son siècle. Mais il n’empêche qu’il l’a constaté et qu’il le pense. Si on considère la culture intellectuelle de son époque (la scholastique) on se rend bien compte que Descartes utilise ses concepts, mais dans une tout autre acception. Bref Descartes est conscient de son immense originalité; du moins dans le début de son ouvrage; la suite est déjà dépassée au moment où il écrit.

Descartes est un peu l’inventeur de la raison moderne universelle. À partir du moment inaugural que constitue le Discours de la méthode, c’est un peu comme si les distinctions de culture et de pays s’effondrent et deviennent des folklores tout juste bon pour apparaître dans l’idée du musée. Certes, tout cela est très en avance sur son temps. Ce sera que beaucoup plus tard que tous les effets de sa doctrine et ses observations deviendront actives et fondateur de notre culture universelle.

Mais qu’est-ce qui est si révolutionnaire dans sa méthode? Nous le verrons un peu plus loin. Continuons avec son introduction et son ironie socratique.

Dans ce qui suit, il dit une chose et son contraire : «Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée ou la prompte, ou l'imagination aussi-nette et distincte, ou la mémoire aussi ample, ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci, qui servent à la per-fection de l'esprit : car pour la raison, ou le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l'opinion commune des philosophes, qui disent qu'il n'y a du plus et du moins qu'entre les accidents, et non point entre les formes, ou natures, des individus d'une même espèce.

Mais je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d'heur, de m'être rencontré dès ma jeunesse en certains chemins, qui m'ont conduit à des considérations et des maximes, dont j'ai formé une méthode, par laquelle il me semble que j'ai moyen d'augmenter par degrés ma connaissance, et de l'élever peu à peu au plus haut point, auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d'atteindre. Car j'en ai déjà recueilli de tels fruits, qu'encore qu'aux juge-ments que je fais de moi-même, je tâche toujours de pencher vers le côté de la défi-an-ce, plutôt que vers celui de la présomption; et que, regardant d'un oeil de philosophe les diverses actions et entreprises de tous les hommes, il n'y en ait quasi aucune qui ne me semble vaine et inutile; je ne laisse pas de recevoir une extrême satisfaction du progrès que je pense avoir déjà fait en la recherche de la vérité, et de concevoir de telles espérances pour l'avenir, que si, entre les occupations des hommes purement hommes, il y en a quelqu'une qui soit solidement bonne et importante, j'ose croire que c'est celle que j'ai choisie.»

Tout ceci est un peu tordu et très habille. Dans un premier temps il avoue ne pas dépasser l’esprit commun et il se plaint même d’avoir connu des gens plus capables dans ce domaine. Mais… Mais il révèle avoir découvert une méthode d’une efficacité telle qu’il prétend qu’avec le temps il en est venu à une parfaite maîtrise. Il fait comme Socrate. Il avoue sa faiblesse pour mieux par la suite démontrer qu’il a vaincu cette faiblesse en trouvant une astuce de la raison. Ce qui est sa fameuse méthode. Méthode exceptionnelle qui va balayer des siècles d’erreurs et d’égarements.

Disons les choses brièvement. La scholastique est l’héritage de la synthèse des connaissances disponibles en Occident effectué par Thomas D’Aquin. Le docteur Angélique procède en unifiant deux traditions : Aristote et la doctrine chrétienne. Il offre une nouvelle alternative entre le conflit de la foi et de la raison. Ce qui fait qu’il peut être très original tout en respectant la tradition. Le savoir égale la tradition. Peu importe de la façon dont elle est actualisée-copiée. Jamais personne n’a remis le corpus du savoir hérité en question. Cela était inconcevable. Puisque Thomas fournissait une réponse à tous les problèmes. Même les plus insolubles. La résolution de la nature et de l’essence des anges est magnifique : une forme pure sans matière. La faculté sublime de penser sans aucune interférence. Sans besoin de dormir, de manger et d’être dépendant de la réalité matérielle.

Continuons. Lorsque Descartes écrit son ouvrage, il révolutionne tout. Il dit en quelque sorte que l’héritage de la tradition est caduque. Qu’il faut apprendre à penser par soi-même. Donc, ne jamais admettre quelque chose comme étant vrai sans l’avoir vérifié par soi-même, par notre raison. Ce qui veut dire que le diable n’existe pas, les sorcièces aussi, les esprits et tout autre forme d’extra-terrestre. Tout cela est de la superstition.

Pour moi le Discours de la méthode a été une révélation. Pense par toi-même. Toujours. Et c’est cela la méthode.

Pour ma part, je n’écris jamais sans au préalable l’avoir vérifié et accepté.

Je suis fort probablement l’auteur qui possède dans ses écrits le plus faible degré d’erreurs et de faussetés.

Revenons à notre auteur. À l’époque de Descartes il faut faire acte d’humilité et de contrition. Et c’est avec une fausse humilité qu’il s’y livre. « Toutefois il se peut faire que je me trompe, et ce n'est peut-être qu'un peu de cui-vre et de verre que je prends pour de l'or et des diamants. Je sais combien nous som-mes sujets à nous méprendre en ce qui nous touche, et combien aussi les juge-ments de nos amis nous doivent être suspects, lorsqu'ils sont en notre faveur. Mais je serai bien aise de faire voir, en ce discours, quels sont les chemins que j'ai suivis, et d'y repré-sen-ter ma vie comme en un tableau, afin que chacun en puisse juger, et qu'apprenant du bruit commun les opinions qu'on en aura, ce soit un nouveau moyen de m'instruire, que j'ajouterai à ceux dont j'ai coutume de me servir.»

Comme si Descartes avait besoin des gens du commun pour lui indiquer ses erreurs et comment se corriger. En fait, Descartes est le plus grand gentle man de l’histoire de la pensée. Au moment où il écrit il dépasse tout ce qui c’est fait avant lui. Mais il s’en excuse pratiquement. Il dit que c’est sa méthode et non son esprit qui est supérieur. Si on compare son cadet, Blaise Pascal, c’est toute une autre chose. Pascal, au moment des Provinciales, ne se gêne pas à démontrer son brillo et son génie. Il le regrettera par la suite en se rendant compte qu’il avait commis le pire des pêchés : la présomption.

Descartes, dans la suite, minimise aussi sa méthode : «Ainsi mon dessein n'est pas d'enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ai tâché de conduire la mienne. Ceux qui se mêlent de donner des préceptes, se doivent estimer plus habiles que ceux auxquels ils les donnent; et s'ils manquent en la moindre chose, ils en sont blâmables. Mais, ne proposant cet écrit que comme une histoire, ou, si vous l'aimez mieux, que comme une fable, en laquelle, parmi quelques exemples qu'on peut imiter, on en trouvera peut-être aussi plusieurs autres qu'on aura raison de ne pas suivre, j'espère qu'il sera utile à quelques-uns, sans être nuisible à personne, et que tous me sauront gré de ma franchise.»

Sa méthode va lui aider à résoudre un problème qu’il a rencontré assez tôt : «J'ai été nourri aux lettres dès mon enfance, et parce qu'on me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j'avais un extrême désir de les apprendre. Mais, sitôt que j'eus achevé tout ce cours d'études, au bout duquel on a coutume d'être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d'opinion. Car je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d'erreurs, qu'il me semblait n'avoir fait autre profit, en tâchant de m'instruire, sinon que j'avais découvert de plus en plus mon ignorance. Et néanmoins j'étais en l'une des plus célèbres écoles de l'Europe, où je pensais qu'il devait y avoir de savants hommes, s'il y en avait en aucun endroit de la terre.»

Descartes veut aussi s’affranchir de la coutume : « j'apprenais à ne rien croire trop fermement de ce qui ne m'avait été persuadé que par l'exemple et par la coutume (…)». Avant d’arriver à sa méthode il suspecte ce qui lui a été dit : «mais que, pour toutes les opinions que j'avais reçues jusque alors en ma créance, je ne pouvais mieux faire que d'entre-pren-dre, une bonne fois, de les en ôter, afin d'y en remettre par après, ou d'autres meil-leures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison. Et je crus ferme-ment que, par ce moyen, je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements et que je ne m'appuyasse que sur les principes que je m'étais laissé persuader en ma jeunesse, sans avoir jamais exa-miné s'ils étaient vrais.»

Nous voici arrivé à la fameuse méthode.

«Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipita-tion et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se pré--senterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occa-sion de le mettre en doute.

Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de par-celles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.

Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.»

De ces quatres propositions je vais retenir la plus importante : «Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle (…)». À ma connaissance cela n’a jamais été dit aussi clairement.

Je dois le redire une autre fois. Auparavant, on se formait à partir de la tradition. On suivait ce qu’avaient enseigné les grands auteurs ou la Bible et ses théologiens successeurs. Descartes rejette toutes ces vérités et opinions contradictoires et décide qu’il va admettre une chose comme vraie uniquement quand il l’aura admis être telle.

Cela peut sembler banal pour nous habituer supposément à nous servir de notre raison. Mais encore, aujourd’hui, certains entre dans des sectes. D’autres croient en l’astrologie. D’autres encore sont créationnistes.

Ce que nous propose Descartes n’est pas rien. Au contraire, c’est tout un programme.

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