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22 janvier 2011

L’utilitarisme

Certains courants de pensée offrent à l’esprit peu d’espace pour le déploiement. Leurs principes, réducteurs à l’extrême, suggèrent une vision peu reluisante des manifestations humaines. Ils ont même un effet déprimant de par leur vision du monde. Mais cela ne les empêche toutefois pas d’être très opérationnelles, vérifiables et efficaces.

L’utilitarisme* suscite cette forme de préjugés** et d’incompréhension  alors qu’en fait le réalisme et la franchise, qui portent à considérer qu’une société est constituée d’individus qui ont comme raison dernière la poursuite de leur propre bonheur, permet de ne pas trop s’illusionner sur les lois et les principes de l’action qui animent les comportements.

Avec une règle aussi certaine que la tendance à la poursuite du bonheur*** quotidien, les idéaux sont relayés à l’arrière plan, mais au moins ils n’interfèrent pas dans le processus d’analyse. Si l’utilitarisme n’est pas une grande et vaste conception du monde, elle a le mérite de décrire et de proposer une explication au comportement qui s’avère exempt de naïveté et de rêverie infantile.

Les ordres

Il existe un ordre des représentations et du discours justificatif et un ordre des faits. Ils ne correspondent quasiment jamais, et leur décalage produit une mécompréhension de la société, quand ce n’est pas une hypocrisie qui s’ignore.
Parmi les défauts propres au système de représentation, le plus grave est cette tendance, au tout début de l’analyse explicative- justificatrice, à confondre le simple fait, de la norme, de la règle et du principe.

Observer les comportements pour constater que l’entraide-altruisme génère une adaptation sociale favorable et souhaitable, supérieur à l’égoïsme, et qu’elle manifeste plus de maturité dans l’organisation collective, tout en générant moins de conflit, demeure une analyse factuelle, mais perd en objectivité, du fait que ce type de comportement, s’il demeure un fait, en est un dans l’ordre des valeurs, ordre au sein duquel il vaut mieux considérer la primauté de la récurrence des comportements égoïstes.

Aucune société où primerait l’égoïsme pur ne pourrait exister. C’est l’altruisme qui oriente en définitive, jusqu’à un certain point, mais c’est un altruisme-égoïsme, bien compris. Car penser à soi c’est aussi faire en sorte que les autres membres ne nous veuillent pas du mal et nous aident à réaliser nos objectifs.

Donc si l’altruisme se manifeste autour de l’égoïsme, l’altruisme domine l’égoïsme dans l’ordre explicatif global, mais elle se manifeste à partir de l’égoïsme.
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*Quelque petites choses utiles à savoir

L’utilitarisme étant une morale de l’intérêt, J.S.Mill l'a décrit ainsi :

«La doctrine qui prend pour fondement de la morale l’Utilité ou le Principe du plus grand bonheur, (et qui) soutient que les actions sont bonnes dans la mesure ou elles tendent à augmenter le bonheur, mauvaises en tant qu’elles tendent à produire le contraire. Par bonheur, on entend le plaisir et l’absence de douleur; par son contraire, la douleur et l’absence de plaisir.»

Ce qui peut être choquant en soi avec une théorie conséquentialiste, et avec la définition précédente, c’est que le principe de la poursuite délibérée du plus grand bonheur, supposé être suffisant pour déterminer quelles actions sont bonnes ou mauvaises, semble oublier que l’acte morale ne peut être déterminé par ses conséquences. Ce qui revient à dire que d’ avoir une attitude utilitarisme face aux choses ou aux individus correspond à les considérer comme un moyen dans le but d’une fin : les personnes me sont utiles pour mon plaisir, me tenir compagnie, me mettre en valeur, me permettre de gravir des échelons vers le pouvoir ou la notoriété, etc.

D’une certaine manière si cette vision est juste et explicative, puisqu’elle rend compte du comportement hédoniste d’une multitude d’individus,  elle ne peut certainement pas être valable pour constituer une éthique personnelle. Elle serait d’autant plus invalide si on considère que la finalité de nos actions serait surtout notre perfection (Kant).

Il nous faut introduire une distinction à propos de la morale. L’éthique comme nous l’employons, aujourd’hui semble être un « principe » propre à la post-modernité, qui s’expliquerait en raison de la lente disparition des systèmes moraux contraignants. « Alors que la morale est exogène –de l’ordre du devoir-, l’éthique est endogène –de l’ordre du vouloir personnel. »

Pour augmenter le degré de précision, il faut considérer l’utilitarisme comme une double exigence, car elle est éthique et morale, mais peut contraignante, puisqu’elle s’adresse au bon sens et à la raison pratique, dans son caractère (immanent) non-transcendant. Elle serait donc une morale minimale et une éthique orientées vers l’adaptation sociale.

Pour comprendre la démarche de l’utilitarisme il faut la considérer, avant tout, comme un système de représentation qui tente de définir le comportement dans sa composante sociale, publique et politique, et non uniquement comme une éthique personnelle.

C’est ainsi que s’explique les deux thèses suivantes : 1-« l’identité naturelle entre l’intérêt public et l’intérêt de chacun, et 2- l’identification souhaitable (et partiellement réalisée déjà) de ces deux intérêts différents, par le moyen de la législation. »

Ces deux thèses semblent adéquates, à condition de considérer que « la recherche du bonheur individuel n'est pas contradictoire avec le souci du bonheur collectif, car les deux sont inséparables; en effet, il n'existe pas de critère objectif du Bien et du Mal, du bon et du mauvais, mais l'expérience nous enseigne ce qui est utile, donc bon; ainsi la fraternité est utile aux humains. »

Donc la force et la pertinence de l’utilitarisme résident, si on la considère comme une morale publique, dans sa capacité  à « fonder des principes politiques, c'est-à-dire des principes généraux d’organisation de la société ».

** La formule qui prétend qu’il faut viser le plus grand bonheur pour le plus grand nombre semble irréaliste et maladroite. Et elle participe des préjugés entretenus à propos de l’utilitarisme. Il faut considérer cette problématique à partir des cercles restreints. C’est dans notre entourage proche que l’on doit instaurer et participer au bonheur des gens qui nous sont attachés. Par la suite, chacun des membres pourra apporter la joie, le soutien et la bienveillance au sein de cercles moins liés et plus élargis.

*** Si certains auteurs évitent de parler d’une éthique hédoniste, pour d’autres « le terme utilitarisme désigne une idéologie systématique composée d’une psychologie sensualiste, d’un hédonisme éthique, de l’économie classique, et de la démocratie en politique ».

À propos de l’économie classique comme jumellité de l’utilitarisme, Adam Smith mentionne que «  l'homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et c'est en vain qu'il l'attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir, s'il s'adresse à leur intérêt personnel (…). C'est ce que fait celui qui propose à un autre un marché quelconque; le sens de sa proposition est ceci : Donnez-moi ce dont j'ai besoin, et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-mêmes(…). Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme; et ce n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage. »

Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’utilitarisme triomphe actuellement s’il faut admettre que nous sommes entrés dans une ère de « recherche du bonheur individuel grâce à l’obtention de biens » de toute sorte. « Par conséquent la maximisation du plaisir ou du bonheur (peut) provenir (…) de la maximisation de la production de biens –réalisation incontestable (…) du nouvelle industrialisme. »    Galbraith

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