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Divagation
20 janvier 2011

Bossuet* dans le fleuve de l’oubli

Parmi les auteurs qui n’ont plus aucun lecteur, peu sont aussi injustement négligé que Bossuet.  Et ce même s’il fait partie de ceux qui mériteraient qu’une part non négligeable de leurs écrits soient utilisés pour servir d’exemple à une heureuse maîtrise de l’expression littéraire. Même s’il fut formidablement doué pour communiquer et s’exprimer, l’abbé Bossuet écrivait dans un style, riche et singulier, qui n’est plus aussi prisé, parce qu’il nécessiterait de notre part, pour parvenir en apprécier la qualité, un esprit de recueillement et un degré de concentration** qui nous fait défaut. La raison principale qui pourrait expliquer ce changement de paradigme, ce glissement vers la facilité, et cette difficulté de réception qui est propre à notre époque, provient de l’émergence d’un type particulier d’écriture récente qui correspond aux aléas et aux fondements de la vie moderne que sont la rapidité, la  brièveté, la concision et le besoin irrépressible d’action. 

Et ce sera le roman qui en fera la cristallisation et la représentation.

Ce qui n’est pas sans importance pour la compréhension  de l’histoire de la littérature, car, sociologiquement parlant, lorsqu’une vaste frange de la population put bénéficier d’une réglementation des heures de travail quotidiennes et d’une hausse des salaires, il y eut la possibilité d’offrir des récits plus longs que le feuilleton, qui pouvait ainsi être plébiscité par l’engouement et par le pouvoir d’achat; et, ce, grâce à la généralisation et à l’augmentation du temps libre.

Comme toutes choses ont leurs contre-parties, les populations devinrent malheureusement plus subtilement asservies dès qu’ils purent bénéficier de la fiction romanesque et d’une échappatoire satisfaisante qui culmina dans le cinéma de masse et de divertissement. La révolte et la critique, l’imagination et le rêve utopique devinrent des manifestations solitaires, par personnages interposés.

Si, auparavant, la littérature n’était pas vendable ni rentable, parce qu’elle était l’activité que d’une couche privilégiée, par la suite, elle devint profitable, docile et insignifiante, parce qu’elle n’était plus une force qui influait sur la réalité pour la transformer. Le roman emporta toute la littérature vers une tangeante qui préconisait une évasion vers un monde autre que celui  qui est vécu, parce qu’il devint impossible de le transformer et de l’améliorer.

L’écriture romanesque remplaça le style antérieur de littérature par la tyrannie de l’action et par la phrase courte. La littérature populaire, vendu à grande échelle, devint, dès lors, la référence pour un publique moyennement cultivé, en mal de sensation forte et d’échappatoire.

Le roman n’a jamais manifesté de défaut, sauf celui d’être souvent terriblement ennuyant, si la dimension infantile du conte*** pour enfant ne nous rejoint plus.

Et que cherche-t-on dans le roman, sinon un peu d’activité et d’imagination au sein d’une vie passablement lassante et inféconde?
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Comble de paradoxe, Marcel Proust, bien qu’il fit faire une énorme progression à l’écriture romanesque, à un point tel qu’il en acheva les potentialités, serait, en réalité, le dernier représentant de ce style essoufflant de la longue énumération et de la surcharge dense qui caractérisait l’écriture préromanesque. Conséquemment, par la suite, l’écriture romanesque ne connaîtra plus vraiment de grandes innovations autre que celle du champ de la fiction.
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* Pour ce qui en de Bossuet, ce qui était supposé être le propos principal, dans les Oraisons funèbres, parlant de Henriette-Marie de France, concernant la force de caractère, il emploie cette expression heureuse :  « (…) et qui seul n’êtes point changée au milieu de tant de changement. »

Si aujourd’hui, on s’évertue à tenter d’atteindre l’expressivité des formules qui frappent, elles n’en demeurent pas moins souvent vides, et ne manifestent qu’un simple exercice stylistique, comparé à la description et à la justesse des propos de Bossuet.

Par cette expression, « qui seul n’êtes point changée », il décrivait et résumait l’existence d’une reine, qui eut une vie difficile, mais qui fut courageuse et grande. Il ne faisait pas une formule littéraire vide. Au contraire, il tentait de résumer la vie d’un être d’exception.

Dans cette oraison un autre passage me semble particulièrement pertinent et actualisable. Que ce soit, prosaïquement, pour un simple individu, ou pour celui qui aurait eu la chance de bénéficier de ses relations opportunistes pour se construire une vie passablement fortunée, aux dépens des autres, en contournant les normes et les lois établies, en profitant du pouvoir de l’argent ou de la célébrité, la mise en garde s’avère juste.

« Les grandes prospérités nous aveuglent, nous transportent, nous égarent, nous font oublier Dieu, nous-mêmes, et les sentiments de la foi. De là naissent les monstres de crimes, des raffinements de plaisir, des délicatesses d’orgueil, qui ne donnent que trop de fondement à ces terribles malédictions (…) »

Pour chacun de nous, le fait d’accumuler quelques réussites et  quelques succès donne parfois un sentiment, indu, de mérite, et l’impression de maîtrise; voire même une dangereuse prétention à la compétence…

Imaginons, dès lors, ce que peuvent ressentir ceux que l’on nomme les grands de ce monde lorsque leurs barques ne rencontrent aucun écueil et qu’au contraire la passivité des collectivités et l’absence de contrepoids efficaces leur assurent une réussite éclatante, mais douteuse.

Comme certaines de ces personnes abusent parfois de religiosité, la suite de l’oraison les concerne.

« Donc, la source de tout le mal est que ceux qui n’ont pas craint de tenter, au siècle passé, la réformation  par le schisme, ne trouvant point de plus fort rempart contre toutes leurs nouveautés, que la sainte autorité de l’Église, ils ont été obligés de la renverser. Ainsi les décrets des conciles, la doctrine des Pères, et leur sainte unanimité, l’ancienne tradition (…), n’ont plus été, comme autrefois, des lois sacrées et inviolables. Chacun s’est fait à soi-même un tribunal où il s’est rendu  l’arbitre de sa croyance; et, encore qu’il semble que les novateurs aient voulu retenir les esprits en les renfermant dans les limites de l’Écriture sainte, comme ce n’a été qu’à condition que chaque fidèle en deviendrait l’interprète, et croirait que le Saint-Esprit lui en dicte l’explication, il n’y a point de particulier qui ne se voie autorisé par cette doctrine à adorer ses inventions, à consacrer ses erreurs, à appeler Dieu tout ce qu’il pense. Dès lors, on a bien prévu que, la licence n’ayant plus de frein, les sectes se multiplieraient jusqu’à l’infini; que l’opiniâtreté serait invincible; et que tandis que les uns ne cesseraient de disputer, ou donneraient leurs rêveries-1- pour inspirations, les autres, fatigués de tant de folles visions, et ne pouvant plus reconnaître la majesté de la religion déchirée par tant de sectes, iraient enfin chercher un repos funeste, et une entière indépendance, dans l’indépendance, dans l’indifférence des religions, ou dans l’athéisme. »

Bossuet nous donne avec cette explication, une très juste description explicative d’un phénomène historique important : les répercussions d’un schisme qui allait marquer la relation des croyants avec le domaine du sacré et ses corollaires : soit l’athéisme, l’orgueil, la vanité et la licence.

Lire Bossuet  devient particulièrement bénéfique puisque l’on revisite les faits marquants de l’histoire, mais avec une capacité à les rendre vivants et dynamiques. Ceux qui reprochent aux manuels d’histoire d’être secs et statiques ne pourront pas vraiment évoquer ce défaut dans les Oraisons.

** À l’opposé de ce que nous vivons : la dispersion et la dissipation.

***  Le mauvais cinéma prolonge la tendance romanesque, qui est de présenter un récit qui fait semblant de n’être pas un conte pour adulte immature.
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1- Dans les détails et les descriptions des phénomènes aberrants, Bossuet est intarissable. Ses considérations sur les sectes, en particulier celles des quakers (les trembleurs), portent à réfléchir, puisque l’outrance dans la certitude d’être en contacte avec Dieu et de posséder la vérité a engendré des monstres d’orgueil et de la démesure.

Il décrit la genèse et le développement des regroupements sectaires
d’une manière peu élogieuse.

« Ainsi les calvinistes, plus hardis que les luthériens, ont servi à établir les sociniens, qui ont été plus loin qu’eux, et dont ils grossissent tous les jours le parti. Les sectes infinies des anabatistes sont sorties de cette même source; et les opinions, mêlées au calvinisme, ont fait naître les indépendants, qui n’ont point eu de bornes, parmi lesquels on voit les trembleurs, gens fanatiques, qui croient que toutes leurs rêveries leur sont inspirés; et ceux qu’on nomme chercheurs, à cause que, dix-sept cents ans après Jésus-Christ, ils cherchent encore la religion, et n’en ont point d’arrêtée. »

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