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29 novembre 2010

La misère du monde

Certains livres nous font du bien et nous aide à mettre en perspective notre propre situation. C’est le cas de l’ouvrage collective sous la direction de Pierre Bourdieu, La misère du monde. À prime abord, on peut penser qu’il sera question de la misère du tiers monde, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit plutôt de la misère au sein des sociétés opulentes. Parce qu’effectivement cela existe. Il faut parler, dans ce cas, de petites misères récurrentes et quotidiennes, mais qui n’en sont pas moins réelles. Comment la caractériser? Bourdieu emploie le terme de position, la misère de position. Mais il n’en dit rien ou, sinon, si peu. C’est au fil de la lecture des témoignages-interviews que l’on parvient à se faire une idée de cette forme de misère qui est somme toute assez fréquente.

Citons quelques exemples. Prenons le cas d’une institutrice qui enseigne au secondaire, disons de 12 à 17 ans. Au début de sa carrière, ses tâches de travail correspondait assez avec l’idée qu’elle se faisait de sa profession, avant d’y entrer. Dix ans plus tard les choses ont très mal tourné. Les enfants ne sont plus aussi disposés à recevoir l’enseignement. Ils sont turbulents, indisciplinés et ils ne comprennent plus que l’école est le tremplin vers le futur. Un futur où ils auront un bon travail qu’ils auront choisi et une vie sociale adaptée et épanouie. Pour ce qui est des parents de ces élèves, inutiles de les convoquer, ils ont abdiqué et ne s’occupent pas vraiment de l’éducation de leurs enfants. Ce qui place l’enseignante dans une position très inconfortable. On connaît la suite : perte de valorisation du métier d’enseignant, fatigue, dépression et malaise morale et psychologique. Ce qui nous donne une idée de la misère de position. Ce que cela signifie. La position que l’on occupe est devenue problématique puisque nos attentes sont frustrées et que nous vivons sur le registre de la déception. Certains diront que ce n’est pas une très grande et grave misère, mais n’empêche qu’elle est quotidienne donc obsédante. Donnons d’autres exemples.

Évidemment, impossible d’éviter de parler des logements sociaux, les HLM. Commençons par les gardiens surveillants de ces immeubles. Comme on s’en doute ils sont mal perçus par la jeunesse qui se compose assez souvent d’enfants d’immigrés, qui refusent de s’intégrer à la société dans son ensemble. Bien sûr ils voient la société de consommation et toute l’opulence, mais comme il s’imagine, quelquefois avec raison, que ceux qui profitent le plus de la richesse ne sont pas les plus honnêtes ils comprennent que d’aller en classe pour obtenir un travail ordinaire ne leur permettra pas de vivre dans le luxe. Il faut comprendre que les modèles de la télévision (vidéoclips) et de l’industrie de la musique rap font miroiter à la jeunesse que l’on peut sécher les cours et réussir amplement dans la vie. En cela ils sont des modèles négatifs. Ils démontrent que l’effort quotidien à l’école peut très bien être éviter. Mais laissons cette question. Revenons aux gardiens de HLM. Son travail consiste à assurer la sécurité des lieux pour l’ensemble des résidents qui ont droit à la tranquillité. Pour les jeunes qui restent tard dans les entrées et qui font du grabuge, les gardiens représentent une forme de police. Ceux-ci se font insulter et les adolescents et les jeunes adultes ne les respectent pas, quand ce n’est pas qu’ils se font menacer ou agresser. On comprend bien que ce travail de surveillance n’est pas idéal. Et il est fort à parier que ces travailleurs ne s’étaient pas imaginés gagner leur vie dans ces conditions. Il y a là encore une misère de position.

Inutile de continuer à énumérer les cas que l’on retrouve dans La misère du monde. Terminons plutôt sur un texte que l’on retrouve dans La distinction. Celui-ci nous indique qu’est-ce qui se produit pour les gens qui vivent cette forme de misère. Ils s’adaptent en revoyant à la baisse leurs exigences de jeunesse pour retrouver un certain bien-être et une paix de l’esprit.

«Le vieillissement social n’est pas autre chose que ce lent travail de deuil ou, si l’on préfère, de désinvestissement (socialement assisté et encouragé) qui porte les agents à ajuster leurs aspirations à leurs chances objectives, les conduisant ainsi à épouser leur condition, à devenir ce qu’ils sont, à se contenter de ce qu’ils ont, fût-ce en travaillant à se tromper eux-mêmes sur ce qu’ils sont et sur ce qu’ils ont, avec la complicité collective, à faire leur deuil de tous possibles latéraux, peu à peu abandonnés sur le chemin, et de toutes les espérances reconnues comme irréalisables à force d’être restées irréalisées.»

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