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18 novembre 2010

Les lois de l’imitation

" Penser spontanément est toujours
plus fatigant que penser par autrui. "

Le sociologue Gabriel Tarde considérait que pour expliquer et comprendre les faits sociaux, les règles et les lois qui gouvernent la société, il était inutile de vouloir décrire le connu à partir de l’inconnu. Pour lui, il n’était pas nécessaire de faire appel à des causes générales pour expliquer les actes ou les institutions. D’une certaine manière anthropologique, il convenait d’établir certaines règles du comportement humain et de bien délimiter les tendances primordiales qui constituent l’agir en collectivité. Il n’est pas interdit, non plus, de faire quelques recoupements avec les animaux évolués. Il suffit d’avoir à l’esprit qu’une grande part de l’apprentissage des primates se fait par l’exemple et l’imitation, pour en tirer les conclusions en généralisant chez l’être humain, pour qui l’imitation occupe une large place dans les mécanismes d’apprentissage. C’est par des faits que l’on peut expliquer les modifications sociales. Et ces faits sont simples, évidents et perceptibles. Ce qui nous dispense de rechercher des explications complexes et des motifs obscurs.

Tarde propose ainsi deux paramètres fondamentaux : l’invention et l’imitation. Ce qui peut paraître banal au premier abord. Mais en y regardant de plus près, cela devient fort efficace par la suite pour comprendre plusieurs phénomènes.

"Les transformations sociales s'expliquent par l'apparition, accidentelle dans une certaine mesure, quant à son lieu et à son moment, de quelques grandes idées, ou plutôt d'un nombre considérable d'idées petites ou grandes, faciles ou difficiles, le plus souvent inaperçues à leur naissance, rarement glorieuses, en général anonymes, mais d'idées neuves toujours, et qu'à raison de cette nouveauté je me permettrai de baptiser collectivement inventions ou découvertes."

La moindre innovation ou modification dans le sens du perfectionnement devient la source des transformations lentes dans tous les domaines : le langage, les techniques, la religion, le droit, etc. Les vraies causes des métamorphoses historiques "pourtant se résolvent en une chaîne d'idées très nombreuses à la vérité, mais distinctes et discontinues, bien que réunies entre elles par les actes d'imitation, beaucoup plus nombreuses encore, qui les ont pour modèles." Ces initiatives innovatrices satisfont de nouveaux besoins, qui semblent infinis. (Ce qui explique que l’innovation soit perpétuelle.)

L’imitation, elle, se décline sous plusieurs formes: "imitation-coutume ou imitation-mode, imitation-sympathie ou imitation-obéissance, imitation-instruction ou imitation-éducation, imitation naïve ou imitation réfléchie." "Si l'imitation est chose sociale, ce qui n'est pas social, ce qui est naturel au suprême degré, c'est la paresse instinctive d'où naît le penchant à imiter pour s'éviter la peine d'inventer". Et il en va de soi, que le langage est le principal vecteur de la transmission imitative.

À terme on pourrait conclure que dans un avenir plus ou moins rapproché le nombre de civilisations différentes iront en diminuant pour ne former qu’une seule grande communauté, et qu’un "même type social, stable et définitif, couvrira l'entière surface du globe". Ce qui serait déplorable.

L’impossible solitude

Les actes et les pensées des autres se reflètent constamment en nous. Ce qui nous permet de nous reconnaître en autrui et autrui en nous. Car il n’est rien de pire que de ressentir l’étrangeté et la différence d’avec nos semblables. Comme dans un immense miroir, nous sommes tous les foyers de la réflexion des autres. Dans cette optique, il est presque impossible de découvrir en nous une idée complètement originale, même si cela semble se produire de temps à autre. Nous nous entre-influençons et suivons des modèles par imitation pour avoir l’impression sécurisante de faire partie d’un groupe, de faire partie de la société. C’est ainsi que l’imitation devient "le fondement du lien social."

Cela n’empêche aucunement le fait que de temps à autre, et chez quelques personnes, il y ait innovation, découverte et originalité. Nous pouvons aussi imiter en modifiant légèrement le modèle. Ce qui devient de la similitude. Ce qui constituerait notre part d’innovation, même si elle n’est que légère.

Il n’en demeure pas moins que la plupart du temps nous sommes contraints par l’imitation à revêtir les formes collectives de l’être-avec-autrui. "Se mettre à l'aise, dans une société, c'est se mettre au ton et à la mode de ce milieu, parler son jargon, copier ses gestes, c'est enfin s'abandonner sans résistance à ces multiples et subtils courants d'influences ambiantes contre lesquelles naguère on nageait en vain, et s'y abandonner si bien qu'on a perdu toute conscience de cet abandon."

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