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Divagation
15 novembre 2010

Ainsi en va-t-il de l’Être

Lire Être et temps est absolument captivant. Mais il faut consentir à quelques efforts. Ce texte ayant la réputation d’être fort hermétique, il ne sert à rien de vouloir tout comprendre immédiatement. Il serait même recommander d’en faire une première lecture sans respecter l’ordre des paragraphes, de relire plusieurs fois les passages qui nous font une forte impression d’illumination, au sens ou il nous est permis d’éprouver le sentiment que, de ce qu’il s’agit dans ce texte, tout cela nous a déjà traversé l’esprit, mais sous une autre forme. C’est peut-être en ceci que réside tout le charme de cette oeuvre fondamentale dans l’histoire de la philosophie: elle explicite les intuitions premières qui fondent les divers systèmes de représentation. Sa démarche ressemble à une forme d’analyse psychologique de la métaphysique. C’est à la clarté absolue de la compréhension que prétendent certains passages. Et dans certains cas le résultat est ahurissant.

Martin Heidegger peut être considéré, avec son compatriote Hegel, comme étant l’auteur le plus difficilement interprétable. La glose et les commentaires sur Sein und zeit sont la plupart du temps difficiles et posent plus de problèmes qu’ils n’aident à en résoudre. Si Hegel a eu la chance de bénéficier pour son œuvre, et pour la Phénoménologie de l’esprit en particulier, des explications judicieuses et brillantes d’Alexandre Kojève, Heidegger, lui, semble avoir eu moins de chance.

Il vaut la peine de tenter d’entrer dans le cœur de la problématique heideggerienne de l’Être, même si on risque l’extrême simplification.

La pensée occidentale et la tradition orientale

À prime abord, il nous faut opérer une distinction entre pensée et tradition. Ceci est primordial si l’on veut expliquer la naissance de la technologie moderne occidentale.

La tradition est un corpus oral ou écrit de connaissances matérielles et de savoir humain. Le plus souvent elle nécessite une formation reliée à l’apprentissage de la lecture et une stratification sociale qui fait en sorte qu’une minorité autorisée sera seule à pouvoir être à même de maîtriser les enseignements et les connaissances positives, grâce à la communication quasi sacrée qu’est l’initiation. Sa principale caractéristique est d’être invariable et peu sujet aux transformations et aux révolutions. Une fois que le corpus est effectif et efficace, il y a peu de chance qu’une observation quelconque vienne changer le paradigme. Cet avantage, qu’est le fait de ne jamais connaître des crises et des remises en question, a aussi pour défaut d’être figé et non propice aux grandes transformations civilisationnelles. Comme on le dit si bien, la tradition perdure.

Pour cette raison on peut, même si c’est très abusif, prétendre que la conception du monde qu’a préconisé l’Orient reposait presque exclusivement sur la tradition. Ce qui fait en sorte que les intuitions de base ont été commentées, développées, mais jamais dépassées. Elles n’ont pas subi de modification notable.

Le danger avec une telle interprétation, avec cette façon de caractériser la culture orientale comme étant figée, c’est de discriminer l’effort et le développement de cette tradition, pour la considérer inférieure au processus occidental, qui lui est fait de remise en question, d’incessantes retransformations et de bouleversements des corpus de connaissance. On pourrait nommer cette tendance à préconiser le développement incessant de l’ensemble des connaissances que manifestent les sociétés postcartésiennes modernes, d’obsolescence. Le passé n’ayant plus d’emprise sur la société contemporaine, ses modes de vie ancestraux et ses préoccupations passées deviennent caduques. Le complexe de supériorité que manifeste l’Occident face à son passé et à toutes les autres traditions vient du fait que le passé n’a plus d’emprise sur l’ensemble global de nos modes de vie. Nous sommes donc dégagés de l’emprise de toutes les formes de restrictions possibles ayant trait aux expériences antérieures.

Il y aurait une thèse à défendre et à formuler. C’est celle-ci: la somme des connaissances, ayant comme support la numérisation, l’obligation qu’a l’homme de maintenir vivant le passé, grâce au souvenir, disparaît ainsi qu’une grande partie des raisons qui nous motivent à avoir du respect pour l’humanité. Le monde virtuel et ses possibilités prenant le relais, l’homme est contraint à une perpétuelle fuite en avant. Son existence s’évanouit, sa dignité et sa noblesse sont réduites à néant, puisque les systèmes qui perpétuent l’information ont dégagé l’homme de l’obligation de conserver le souvenir des données, des impressions, des sentiments, bref des connaissances sur lui-même et sur le monde. Ses capacités et son utilité n’étant plus nécessaires au fonctionnement des systèmes, devenus autonomes et auto-créateur, l’homme est maintenant, et pour l’instant, contraint à un rôle secondaire. Il en va de soi que la destruction de cultures ancestrales et de population au mode de vie resté traditionnel n’émeut presque plus les Occidentaux. Mais ceci est une autre histoire.

La tradition, donc, étant un corpus oral ou écrit de connaissances et de savoirs humains invariables, la pensée occidentale, elle, se caractérise par une incessante remise en question et par une accumulation des schémas explicatifs. Chaque école de pensée, se plaçant en opposition à la précédente, la conception du monde et les diverses philosophies ont évolué assez rapidement, dès les premiers penseurs ioniens. D’une observation des phénomènes de nature physique on est passé aux véritables causes de la permanence dans le changement. Du Devenir et de l’incessante transformation des choses, la philosophie grecque en est venue à ce questionnaire sur la permanence et sur ce qui perdure : l’Être. Si dans la tradition orientale c’est le Devenir qui est premier et fondamental, dans la pensée occidentale c’est l’Être et le non-être qui articulèrent la réflexion.

La thèse heideggerienne

Dès le moment où Parménide élabora son système de pensée et qu’Aristote voulut présenter une synthèse dialectique entre l’Être et le Devenir héraclitéen, Heidegger prétend et suppose qu’il y eut l’oubli de l’Être. Ce qui semble paradoxal, puisque durant tout le temps que l’on dissertait abondamment sur l’Être, on en manquait complètement sa compréhension. Mais ce que Heidegger veut dire c’est que l’ontologie, la science de l’Être en tant qu’être et la théologie chrétienne, ce mariage qu’il appela l’onto-théologie, élabora une dualité spécifique qui niait la partie principale qu’est l’homme. On y retrouvait d’un côté l’Être, l’éternité et Dieu, et de l’autre le Devenir, la création et la créature (l’homme). Ce qui amenait comme fâcheux désavantage que durant toute sa vie terrestre l’être humain ne pouvait que concevoir et se représenter l’éternité divine, sans jamais y participer et en faire partie.

Heidegger reformula donc la question de l’Être d’une manière révolutionnaire.

"Le développement de la question de l’être comporte donc l’explicitation d’un étant (l’homme) –celui qui questionne- dans son être." "Cet étant que nous sommes nous-mêmes, et qui a, par son être, entre autre chose, la possibilité de poser des questions, sera désigné sous le nom de être-là." Désormais l’homme fera parti de la question de l’être, de l’éternité. Il réintégrera sa place. Celle d’être au cœur de l’être. Car "l’être réside dans l’existence, dans l’essence, dans la réalité, dans l’être subsistant, dans la consistance, dans la valeur, dans l’être-la (l’homme)."

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