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Divagation
10 novembre 2010

Civilisation et télé-réalité

"C’est la tradition qui cimentait autrefois la collectivité
et constituait le lien social. Nous lui avons substitué
trois ingrédients –l’État moderne, le consumérisme et
la culture médiatique- dont nous vérifions, aujourd’hui,
la fondamentale insuffisance. Aucun des trois n’est en
mesure de conjurer le désarroi ambiant. L’homme
occidental se sent parvenu au terme d’une émancipation
qui lui assure un surcroît de liberté, mais le laisse cruellement
orphelin. En vérité, on ne fait pas revivre ce que l’histoire
a dissous, on ne réinvente pas les infinies broderies
de l’appartenance que le temps a détricotées."

L’univers médiatique, loin d’être insignifiant, projette et induit une certaine idée de l’homme. Il représente et met en scène les aspirations, les désirs et les préoccupations du moment, et nous tisse un portrait très élaboré de la constitution d’une civilisation. À ce jour, aucun autre phénomène que la télé-réalité ne nous avait fourni autant de matières riches en analyse. Si ce type de spectacle, vide en contenu, fascine une partie de l’auditoire en mal de sensation, il doit bien exister des raisons qui justifient un tel intérêt.

La disparition de la tradition

La modernité se décrit, avant tout, comme étant une tentative d’accueillir le présent dans son incessant recommencement et dans sa faculté à faire émerger la nouveauté* et l’innovation. Pour se faire, le passé, la tradition et l’héritage doivent être disqualifiés et n’avoir plus aucune influence marquante dans l’esprit des individus. La religion, les mythes, les grands et les petits récits, qui fournissaient des réponses et des solutions aux grandes questions auxquelles l’homme se pose, ne doivent plus avoir de sens, ni être communiquer ou enseigner. Le passé et ses traditions, étant vécus, aujourd’hui, comme un poids à assumer, un héritage inutile qui vient freiner la jouissance du moment présent, disparaissent du champ des préoccupations. La vie est vécue, dans ces conditions, sous le mode de l’éphémère et du renouvellement constant. Et dans cette optique, la consommation devient la principale activité qui permet de vivre dans l’instantanéité des désirs et dans leur assouvissement devenu irrépressible. Ce besoin incontrôlable de consommer suppose que le citoyen, en Occident, et bientôt partout où se développe l’économie de marché, est profondément insatisfait. Le consumérisme devient donc une solution face à la solitude, aux frustrations vécues au travail, à la fatigue et au fait que l’on se lasse de tout. Les publicistes l’ont bien compris, et parmi les cordes sensibles que la publicité fait vibrer, la réalisation personnelle en est une importante, puisqu’elle permet de compenser le manque de contentement et l’absence de satisfaction que devrait générer habituellement une vie épanouissante. Pour se réaliser, il faut avoir l’impression de se sentir important. La distinction devient ainsi la manière la plus appropriée de se singulariser. Les marques de prestige et les griffes fournissent aux consommateurs la possibilité de combler ses besoins particuliers qui donnent un surplus d’assurance et font croire à une plus grande réalisation personnelle. Le sacré ayant été complètement évacué, il faut bien poser des actes signifiants. C’est justement ce que la consommation permet. Elle prend toutes les apparences d’un rituel qui redonne du sens à nos actes quotidiens.
Les pièges de l’autonomie

Si autrefois les normes, les règles et la morale provenaient d’instances externes à l’individu, ce que l’on appelle l’hétéronomie, il nous faut constater que la modernité, elle, à instaurer une tendance à préconiser et à insister sur l’autonomie du sujet. Se donner ses propres normes est certainement moins contraignant que de se les faire imposer, mais cela pose un problème si ces dites normes ne prennent pas en considération le lien qui nous unit avec autrui. Pour certains penseurs, le sujet serait devenu despotique, "imbu de sa nouveauté, de sa supposée originalité, et, dédaigneux du passé, il n’aurait plus le désir de tenir le monde en communauté". Ce qui fait que "nous n’habitons plus un monde commun". Ce qui résulte en une fragmentation sociale, en un repli des individus sur leur jouissance personnelle.

La raison qui explique cette dérive vers la réalisation personnelle, à tout prix, nous la retrouvons dans la tendance qu’instaurent les nouvelles valeurs d’authenticité et de spontanéité. Car ce sont des valeurs qui inaugurent une nouvelle manière d’être au monde. Une façon toute particulière de s’autocréer, de se construire par soi-même, à partir de rien, à partir d’aucune donnée historique et culturelle, qui, elle, ne doit pas venir interférer.

Pour être authentique il faut nécessairement que l’individu se centre sur ses particularités qui lui sont propres, qu’il les mettent en valeur. Dans cette entreprise, il faut que chacun puisse s’affranchir des manifestations qui sont trop impersonnelles et trop communes. Les derniers programmes d’éducation, en Occident, ont beaucoup insisté sur l’autonomie et la créativité personnelle. Au détriment de l’enseignement des œuvres ancestrales et des ouvrages dits classiques. On supposait que l’étudiant pouvait se comprendre et comprendre le monde qui l’entourait uniquement en puisant en lui les ressources de son inspiration et en encourageant sa faculté d’observation et de réflexion. Mais nous pouvons constater que cette démarche douteuse a mené à un complet fiasco. C’est à une méconnaissance profonde que puisait cette conception de l’éducation. Car il y a un primat que l’on doit toujours avoir à l’esprit. C’est par l’imitation que nous pouvons apprendre et acquérir des connaissances et des compétences. Que si nous nous familiarisons pas avec les ouvrages qui ont été écrits auparavant, nous nous condamnons à la répétition et la banalité d’analyse faible et primaire. Loin d’être original, c’est à une régression des connaissances que nous nous exposons.

Bien au contraire, c’est par l’apprentissage par imitation que l’on parvient à intégrer l’ensemble des connaissances. Par la suite, seulement, il nous est possible d’innover ou d’ajouter une donnée ou un détail déterminant, ou encore de parvenir à révolutionner une discipline.

La fin de la culture

Ce que l’on retrouve au travers des nouveaux créneaux médiatiques, comme la télé-réalité, se définit par une dramatique ignorance et parfaite inculture de la part des protagonistes. Et ce qui est le plus choquant, c’est que les individus qui participent à l’expérience du jeu de la séduction ou de l’apprentissage du chant et de la musique ne souffrent d’aucun complexe face à leur insipide stupidité et leur pure imbécillité. Dans le nouveau monde médiatique, qui est le miroir de la société, le sujet, l’individu, n’a plus aucune autre préoccupation que lui-même, et son principal objectif est de se mettre en valeur, pour arriver à séduire ou à manipuler l’autre, dans le but d’obtenir que ses désirs se réalisent. Nous assistons au triomphe de l’ignoble et mesquine égoïsme. Pour la première fois, nous avons devant nous un individu, qui malgré sa complète vacuité et son insignifiance profonde, croit à son originalité. Ce prétend être unique et intéressant. Autrefois, pour pouvoir se produire devant un auditoire ou pour être écouté au sein d’une tribu, il fallait avoir fait l’expérience et la preuve de son savoir, qui avait été communiquer par le lent et patient apprentissage auprès des savants et des sages, qui eux avaient aussi fait le travail de formation. Désormais n’importe qui peut prétendre être digne d’intérêt. Autrefois la parole était sacrée. Du moins, il existait un certain respect pour ceux qui avaient travaillé toute leur vie pour mettre en forme un discours logique et signifiant. On ne pouvait pas comparer le premier venu et en mal d’être écouter à celui qui avait, avec le temps, prouvé la force de son raisonnement. Il existait une certaine hiérarchie qui permettait de ne pas tout confondre, et de bien établir les degrés de qualité et d’excellence. Tout ceci s’est évanoui et a disparu. Nous voici entrer dans l’univers de l’opinion. Comme si n’importe qui pouvait être a même de juger de n’importe quoi. Le patient travail de formation et de réflexion n’étant plus valorisé et encouragé, on s’imagine que la pensée naît à partir de rien dans l’esprit des gens qui n’ont malheureusement pas de temps à consacrer à la recherche et à la réflexion.

Bien au contraire, la véritable pensée fonctionne par accumulation, par succession de couches qui se superpose, par le mûrissement de pratique et de constante reprise. Pour prétendre saisir un sujet, il faut avoir tourné autour plusieurs fois, et ce, même si cela n’est pas fécond, au début, dans les premières tentatives. Il faut recommencer et savoir patienter.
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* Pour être réceptif à la nouveauté, il faut que ce qui est advenu précédemment soit sans cesse périmé et désuet. Ce qui faisait sens auparavant doit perdre sa validité pour faire place à de nouvelles significations et de nouveaux produits qui eux seront à leur tour déconsidérés. Il y a donc deux modalités : la tradition et la nouveauté. Incompatible. Chacun excluant l’autre. La nouveauté invalidant la tradition, et la tradition étant fermée à toute sorte de modifications. Dès que l’on passe à une civilisation qui n’encourage que le changement, l’innovation et la nouveauté, la civilisation précédente, qui s’appuyait sur la tradition, se trouve disqualifiée. Et ainsi disparaissent les raisons qui incitaient à prendre en considération le travail accompli dans le passé et l’héritage de multiple génération qui ont mené un travail de recherche et de questionnement sur les grands enjeux qui concerne l’être humain.

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